Tâtonner au cours de la mise en place de stratégies et de ressources adaptées au travail à distance : un passage obligé !

Les situations de confinement et de construction d’une continuité pédagogique actuelles génèrent au minimum de l’inconfort. Le recours à des ensembles d’objets techniques numériques (classes virtuelles, exerciseurs en ligne, ENT, plates-formes de vidéos...) est quasi indispensable et de nouvelles stratégies d’utilisation doivent être construites par les enseignants.

Dans ce contexte, nous sommes amenés à transformer nos séquences pédagogiques et à produire de nouvelles formes de situations d’apprentissage. Il nous faut alors apprendre à utiliser de nouveaux outils ou des outils déjà connus mais différemment. Les travaux de chercheurs comme Pierre Pastré (professeur émérite du CNAM [1], chaire de communication didactique, agrégé de philosophie,) ou Pierre Rabardel (professeur de psychologie et ergonomie) peuvent nous rassurer sur les tâtonnements et les interrogations auxquels nous sommes particulièrement confrontés en ce moment.

Exemple de la classe virtuelle

La classe virtuelle est un exemple d’usage numérique nouveau à construire. Ses utilisations successives s’accompagnent, comme pour n’importe quel objet technique, d’un processus appelé genèse instrumentale (Rabardel, 1995). Derrière ce terme, qui peut paraître académique, il y a l’idée que l’utilisation d’un objet technique s’accompagne toujours de deux mécanismes plus ou moins simultanés et non intentionnels.

Identification et sélection de fonctions

Le premier mécanisme s’observe lorsque, par exemple, des utilisateurs découvrent l’interface de la classe virtuelle. On constate qu’ils vont attribuer des fonctions aux différents boutons et espaces et sélectionner certains éléments pour les explorer.
Ils peuvent aussi être amenés à détourner l’objet de sa fonction initiale en lui trouvant de nouveaux usages. Par exemple, la liste des participants qui s’affiche peut servir de liste des présents qui sera conservée au moyen d’une capture d’écran.
Selon les personnes, de nombreuses modalités de cette phase d’exploration et d’adaptation « à la main » de l’utilisateur existent.

Diaporama de présentation de quelques modalités classiques d’exploration de l’interface d’une application : exemple de la classe virtuelle du CNED - Cliquez dans la vue pour passer à la suivante.
Ce diaporama Sozi comporte des vues associées à une navigation. Le passage d’une vue à l’autre se fait par un clic dans l’image ou en utilisant la barre d’espace ou les flèches du clavier. Il est possible d’accéder à une vue en particulier en cliquant sur le numéro de vue en haut à gauche et en choisissant la diapositive souhaitée dans le sommaire. Le diaporama est également accessible en grand format en bas d’article.

Mise en place de nouveaux gestes professionnels

Simultanément les utilisateurs qui prennent possession de l’interface vont modifier leurs actions en fonction des contraintes de celle-ci. C’est le deuxième mécanisme à l’œuvre avec les dispositifs techniques. Les utilisateurs ré-aménagent, de façon non consciente, la plupart du temps, tous les « automatismes » qu’ils ont déjà pu construire en interagissant avec d’autres objets plus ou moins similaires.
Par exemple, un enseignant va utiliser à la fois ses gestes professionnels de conduite de classe et des automatismes liés à l’usage du téléphone ou d’outils de vidéoconférences déjà expérimentés dans un cadre privé.

C’est ainsi que la plupart des enseignants va d’abord penser l’utilisation de la classe virtuelle pour commenter un diaporama, sur un format proche de l’heure, en ménageant des temps de questions pour les élèves. L’attention des utilisateurs se portera alors sur les fonctions de téléchargement et d’affichage de diaporama et sur les modalités de gestion de la parole des élèves.

Dans un deuxième temps et au fur et à mesure du développement du processus de genèse instrumentale, on observera la mise en place de stratégies différentes, plus variées, utilisant d’autres fonctions :

  • utilisation des groupes de travail pour faire collaborer des groupes d’élèves ;
  • organisation de classes virtuelles plus courtes, en petit groupe, pour répondre à des questions suite à un travail effectué au préalable ;
  • utilisation conjointe de la classe virtuelle pour piloter le travail et d’un autre mode d’interaction (QCMs sur pronote, ou ENT, rédaction de billets de blog, contributions sur un mur collaboratif, parcours Eléa...) ;
  • co-enseignement avec un autre professeur...

Ce cheminement s’accompagne de tâtonnements inévitables et indispensables qui génèrent fréquemment un sentiment de frustration ou d’inconfort.

Métaphore de l’aspirateur par Marcel Lebrun et André Cerdu
Quand un nouvel objet technique est découvert, sa première utilisation est toujours une transposition d’usages précédents dans des situations voisines. Ce n’est qu’au fur et à mesure du travail avec l’objet que les utilisateurs le prennent en main et adaptent son utilisation.
Marcel Lebrun et André Cerdu

Voilà pourquoi on recommande souvent aux enseignants, qui souhaitent utiliser des outils numériques nouveaux, de choisir un petit nombre de ces outils et de prendre le temps de les prendre en main progressivement.

C’est la raison pour laquelle la construction d’usages numériques pédagogiques s’accommode mal d’un travail effectué dans l’urgence et très bien d’une construction continue au cours du temps.

Comme la situation actuelle nous confronte à ces deux impératifs, la connaissance des mécanismes de genèses instrumentales nous engage à concevoir nos nouvelles situations très progressivement sans chercher à atteindre immédiatement un grand niveau de complexité en termes d’usages numériques. Par exemple, dans le cas de la classe virtuelle on peut imaginer un temps de tests et de tâtonnements entre collègues avant de proposer des séances aux élèves.

Et côté élèves ?

Les élèves sont également soumis au processus de genèse instrumentale. On leur attribue, par ailleurs, une aisance numérique, maintenant reconnue comme un mythe. Ils doivent eux aussi s’approprier de nouvelles interfaces et de nouveaux usages numériques pédagogiques qui n’ont rien à voir avec les « automatismes » qu’ils utilisent lorsqu’ils jouent ou utilisent les réseaux sociaux.

Cela explique pourquoi les enseignants sont confrontés à de nombreux élèves perdus, posant des questions parfois étonnantes, et qui n’arrivent pas toujours à se diriger dans l’interface de leur ENT, ou dans celle de leur cahier de texte en ligne.
Les situations de travail répétées que nous leur proposons et les consignes que nous dispensons leurs sont indispensables pour mettre ces outils « à leur main » et les transformer progressivement en instruments de travail. Il est nécessaire de proposer aux élèves une découverte progressive des nouveaux outils.

Exemple de la découverte des outils d’annotation dans la classe virtuelle avec les élèves

On pourra, dans un premier temps, prévoir un exercice très simple pour que les élèves apprennent à utiliser l’outil texte, d’annotation d’une diapositive (ou d’un tableau blanc) à compléter. L’annotation de diapositive pourra ensuite être réinvestie pour des activités plus difficiles et demandant plus de réflexion. Elle pourra dans un troisième temps être couplée à une justification fournie dans le chat par son auteur. Au cours de cet apprentissage, certains élèves rencontreront des difficultés que le professeur n’avait pas forcément prévu. La possibilité de demander de l’aide vocalement ou par l’intermédiaire du chat permettra d’assurer les régulations nécessaires pour conserver un lien avec l’ensemble des élèves présents.

Finalement, tout l’art de l’enseignant, en situation d’usage numérique en cours d’acquisition, consistera à ajuster la construction évolutive de ses nouveaux instruments de travail à celle de ses élèves. Il devra aussi s’autoriser les tâtonnements et ajustements qui ne manqueront pas de s’imposer et même leur prévoir un espace destiné à réaliser des régulations.

Il n’y a donc pas d’usages numériques supérieurs à d’autres mais des usages plus ou moins bien adaptés aux situations d’enseignement et à l’état des genèses instrumentales en cours du côté du professeur comme du côté des élèves.

Liens vers les tutoriels utilisés dans le diaporama :

http://www.dane.ac-versailles.fr/IMG/pdf/guide_professeur-maclasse_fr_2020.pdf
http://www.dane.ac-versailles.fr/continuite-cned/une-classe-virtuelle-pour-quoi-faire
http://www.dane.ac-versailles.fr/continuite-cned/cned-accompagnement-ma-classe-a-la-maison-classes-virtuelles
https://h5p.org/h5p/embed/743507
Présentation du logiciel Sozi utilisé pour le diaporama

Voir en ligne : Consulter une partie des travaux de Pierre Rabardel : "Les hommes et les technologies ; approche cognitive des instruments contemporains".

Notes

[1Conservatoire national des arts et métiers

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