Esprit Critique, Esprit Scientifique Travailler l’esprit critique en classe



« À tout prendre, les méthodes scientifiques sont un aboutissement de la recherche au moins aussi important que n’importe quel autre de ses résultats ; car c’est sur l’intelligence de la méthode que repose l’esprit scientifique, et tous les résultats de la science ne pourraient empêcher, si lesdites méthodes venaient à se perdre, une recrudescence de la superstition et de l’absurdité reprenant le dessus. »
Nietzsche, Humain trop humain (1878)

Dans une société où des scandales tels que Cambridge Analytica ou le Russiagate font la une de tous les médias, on se rend compte que de nouveaux défis se posent à l’éducation. En effet, la technologie, et notamment les réseaux sociaux, ont amplifié de manière exponentielle la portée et la capacité de communication de tous les citoyens. La création d’un compte ou l’ouverture d’un blog ne prend que quelques secondes et ne requiert aucune authentification ou certification. La quantité d’informations accessibles devient alors incommensurable et il est parfois difficile de s’y retrouver (que ce soit pour un élève ou un adulte).

Bien que l’apprentissage de nouvelles notions reste un point central dans notre système éducatif, le développement de l’esprit critique est devenu aujourd’hui fondamental pour l’éducation d’un citoyen averti. En effet, malgré l’avancée technologique, la recrudescence de la superstition et de l’absurdité dont parle le philosophe sont bien présentes dans notre société. Les données sur l’adhésion des citoyens français aux différentes théories du complot sont alarmantes. Et l’impact l’est tout autant car ceci peut entraîner des situations dangereuses d’un point de vue de la santé publique (comme par exemple une couverture vaccinale de 65% pour la rougeole au lieu de 95%). De plus, l’utilisation des Big Data et les technologies telles que les Deepfakes, sont de plus en plus accessibles et rendent les fake news toujours plus spécifiques à leurs cibles et plus difficiles à déceler. On est donc forcé d’admettre qu’il n’y a qu’avec un esprit critique affûté que l’on peut éviter de se faire manipuler.

Mais l’esprit critique n’est pas seulement reconnaître une information vraie d’une fausse. C’est aussi ce qui nous permet de nous forger une opinion informée, de savoir comment évaluer la fiabilité des sources, comprendre la différence entre corrélation et causalité, considérer à sa juste valeur le consensus scientifique ou encore vérifier des preuves. Un esprit scientifique aiguisé nous permet d’apercevoir les leviers émotionnels présents dans un argumentaire biaisé ou encore d’être créatif dans notre quête de vérité.

C’est sur ces points, et bien d’autres, que la fondation La main à la pâte a travaillé et qu’un groupe de travail piloté par Mme André (IA-IPR SVT) s’est formé dans le courant de l’année 2017-2018. L’objectif : créer, tester, retravailler et adapter des activités visant à développer l’esprit critique chez les élèves du cycle 2 à la seconde.

Les activités s’inscrivent dans une démarche d’investigation et présentent des supports et des productions variés. La collaboration avec des enseignants de plusieurs matières est aussi proposée. En effet, le développement de l’esprit critique n’est pas une compétence exclusive aux matières scientifiques et le travail en collaboration permet de développer ces compétences de façon efficace. Les activités sont divisées en 5 blocs qui reprennent des compétences clés qui sont : observer, expliquer, argumenter, évaluer et inventer. Toutes les activités sont disponibles sur le site de la main à la pâte (https://www.fondation-lamap.org/fr/page/20446/le-projet) et un manuel papier est également mis à disposition. L’idée est de proposer des activités clé en main (bien qu’une prise en main soit évidemment nécessaire, surtout pour les activités les plus conséquentes et la construction des supports) pour les enseignants.

Des exemples ont été présentés lors des conférences pédagogiques du collège en décembre 2018 par Sébastien Gibrac, Céline Lardy, Amandine Morado, Farid Rachidi et Michael Scansetti. Les diapositives des présentations sont présentes sur tribu.

Voici quelques exemples d’activités (les fiches détaillées sont présentes sur le site).

On a retrouvé des os

https://www.fondation-lamap.org/fr/page/62533/on-a-retrouve-des-os

  • Niveau : cycle 3
  • Durée : 3-4 séances (3-4h)
  • Objectifs : travailler sur l’observation d’un phénomène mystérieux, comprendre la valeur de l’erreur pour progresser en science ainsi que l’importance de la formulation des hypothèses.
  • Résumé de l’activité : les élèves se transforment en archéologues et partent, par groupe, sur un site où l’on a retrouvé des os. A l’aide de cartes qui détaillent leurs trouvailles et activités quotidiennes, ils vont trouver un certain nombre d’os (que l’enseignant aura découpé au préalable) et devront formuler des hypothèses quant à la nature de l’animal en question. Chaque jour ils découvrent de nouveaux os, ce qui les oblige à affiner leur hypothèse ou à la changer radicalement. Des phases de formulation d’hypothèses, s’alternent avec une phase de recherche (observation de squelette d’autres animaux) et une phase de collaboration avec les autres groupes. L’activité se termine avec la présentation des résultats de la recherche pour chaque groupe.

Grace à cette petite activité ludique, les élèves incarnent un professionnel dans toutes les phases d’une découverte scientifique. En effet, bien que linéaire, cette activité aura permis aux élèves de travailler plusieurs compétences différentes et plusieurs aspects de la dynamique d’une vraie recherche scientifique. L’erreur n’est plus quelque chose de négatif dans ce processus, mais au contraire, elle est perçue comme motrice pour arriver à une conclusion. Le travail en groupe se révèle indispensable, que ce soit dans son propre groupe de travail que parmi tous les groupes qui travaillent sur le même sujet, et la qualité de la présentation des résultats trouve, elle aussi, son importance.

Figure 1 : Squelette de référence

Figure 2 : Exemple de productions d’élèves


Faut-il manger du nuletta ?

https://www.fondation-lamap.org/fr/page/62543/faut-il-manger-du-nuletta

  • Niveau : cycle 3 / cycle 4
  • Durée : 1 séance (1h)
  • Objectifs : à travers un débat, comprendre qu’il n’existe pas une seule vision possible d’un phénomène et que, malgré la controverse possible, le positionnement individuel peut être fait de façon avertie et respectueuse.
  • Résumé de l’activité : le débat porte sur la controverse concernant l’huile de palme. Le levier déclencheur repose sur la contextualisation du problème à travers un produit dont les élèves n’auront pas de mal à trouver la référence : le nuletta. Faut-il en manger ? Les élèves sont amenés à classer en argumentant des informations objectives sur l’huile de palme d’abord en groupe, puis en incarnant un personnage tel qu’un industriel, un primatologue ou encore un consommateur insouciant. Il leur parait alors évident que le positionnement de chacun dépend, entre autres, de la sensibilité personnelle vis-à-vis de certaines informations. Le débat ne trouvera donc pas de consensus unanime sur cette question, mais accepter la controverse et essayer de comprendre et respecter le point de vue de l’autre est un passage obligé pour vivre sereinement dans une société.

Cette activité aura permis aux élèves de se confronter entre eux et d’affronter un débat sociétal d’actualité. De plus, outre à avoir approfondi la question de l’huile de palme, les élèves auront réalisé l’importance des informations objectives pour se forger une opinion et le fait que leur propre sensibilité peut les influencer dans leur positionnement par rapport à un sujet sans pour autant que leur propre opinion soit « meilleure » que celle de leur voisin.

Figure 3 : Exemple de cartes pour mener le débat


Une belle prise de bec

https://www.fondation-lamap.org/fr/page/64901/une-belle-prise-de-becs

  • Niveau : 3ème / cycle 4
  • Durée : 3 séances (3h)
  • Objectifs : comprendre la différence entre une hypothèse (qui a une valeur, justement, hypothétique) et une théorie scientifique (qui, au contraire, n’a pas une valeur « théorique »). Comprendre les bases de la théorie de l’évolution en la démontrant.
  • Résumé de l’activité : la théorie de l’évolution : un des piliers des négationnistes ! Et pourtant, une théorie scientifique, malgré la possible confusion induite par le mot « théorie », est un phénomène démontré qui présente une robustesse scientifique très solide. Elles ne sont donc pas matière de croyance et il serait faux de les rabaisser au niveau d’une opinion.

Cette activité se pose 2 objectifs qui ne sauraient se travailler de façon séparée : comprendre ce qu’est la théorie de l’évolution et comprendre ce qu’est une théorie scientifique. Les deux vont de pair, car en effet l’élève apprendra rapidement que cette théorie n’est pas basée sur des principes frivoles ou superficiels. Grace à la modélisation du cas des pinsons de Darwin (réalisée avec des pinces et des « graines » de tailles différentes), les élèves vont devoir formuler des hypothèses qui expliquent la variabilité des becs, ainsi que les possibles évolutions en fonction des différents scénarios possibles. Chaque étape est reliée à un argumentaire fallacieux envers la théorie de l’évolution. Pour arriver à ses fins, l’élève devra déconstruire cette idée. Après avoir relié la forme du bec à l’alimentation et avoir ainsi abordé la notion d’adaptation, la classe va pouvoir s’approprier la théorie de l’évolution par sélection naturelle. Finalement, ce cheminement intellectuel, permettra à l’enseignant de mettre en évidence la façon dont les élèves sont arrivés à cette conclusion pour renforcer le fait qu’une théorie scientifique n’est pas une « idée » mais bel et bien une explication rationnelle, concise, intemporelle et prédictive d’un phénomène qui s’appuie sur des preuves concrètes.

Après avoir mis la main à la pâte, les élèves auront compris que les savoirs scientifiques ne sont pas dogmatiques et qu’ils évoluent (eux aussi) au cours du temps. Le fait de « reconstruire » la théorie de l’évolution sans que cette dernière leur soit imposée leur aura permis de s’en approprier tout en comprenant l’importance d’une pensée structurée, rationnelle et critique.

Figure 4 : résultats de la modélisation et pièces symbolisant à l’élève l’avancement du processus scientifique de l’élèves

Figure 5 : Les élèves en activités pendant la modélisation


Menez l’enquête

https://www.fondation-lamap.org/fr/page/64898/mener-lenquete

  • Niveau : 3ème / cycle 4
  • Durée : 4 séances (3-4h)
  • Objectifs : évaluer la pertinence d’une théorie du complot.
  • Résumé de l’activité : les élèves se retrouvent face à une théorie du complot : des dinosaures ont été recréés dans un laboratoire secret. C’est en effet un journaliste qui a démissionné de son poste qui écrit ce blog pour révéler cette nouvelle au monde. Ce scénario à la Jurassic Park, sera utilisé par l’enseignant pour faire travailler les notions de génétique du programme aux élèves tout en leur demandant d’être critique quant à leurs découvertes. Tout au long de l’activité, les élèves vont devoir évaluer différents aspects de ce blog pour se positionner sur une grille qui va de « je n’ai pas du tout confiance en cette thèse » à « j’ai totalement confiance en cette thèse ». Tel un jeu de table, les élèves sont amenés à réfléchir sur les leviers émotionnels utilisés par l’auteur pour convaincre, sur la fiabilité des sources ainsi que sur la véridicité des preuves avancées. Extraction et analyse de séquence d’ADN, utilisation de Phylogène et compréhension de la méthode de transgénèse : tout est mis en œuvre pour que les élèves, de façon autonome, puissent construire un argumentaire pour évaluer le blog de façon avertie et rationnelle.

C’est une occasion pour les élèves d’analyser de façon minutieuse et dans un espace protégé une théorie qui, même si construite à des fins pédagogiques, ressemble cruellement à bien des thèses que l’on peut trouver sur internet. En ayant travaillé en autonomie, ces séances auront permis aux élèves de s’armer pour éviter de croire à tout et n’importe quoi et, dans le doute, à évaluer la fiabilité d’une thèse jusque-là inconnue.

Figure 6 : Page du blog (gauche) et résultat d’un questionnaire élève sur l’utilité de cette activité (droite)


Les débats scientifiques en société

https://www.fondation-lamap.org/fr/page/64903/les-debats-scientifiques-en-societe

  • Niveau : 2nde/ cycle 4
  • Durée : 1h30/2h
  • Objectifs : distinguer ce qui relève d’une croyance ou d’un savoir scientifique. Comprendre l’importance des experts dans une société et le fait que toutes les opinions et hypothèses ne se valent pas.
  • Résumé de l’activité : le scénario pédagogique de cette activité est simple : les élèves sont les habitants d’un village où un événement mystérieux (mais bien réel https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/01/02/pluie-d-oiseaux-morts-inexpliquee-dans-l-arkansas_1460179_3244.html ) a lieu. En effet, durant la nuit, des milliers d’oiseaux morts tombent du ciel. Tel que sur un réseau social, plusieurs théories font surface. Les élèves vont devoir, à la manière du jeu de table « loup garou », éliminer à chaque tour la théorie qui leur semble la moins crédible. Chaque élève reçoit une carte qui peut être une carte théorie ou une carte expert. S’il incarne une théorie il va devoir argumenter en faveur de sa théorie pour ne pas être éliminé. S’il incarne un expert il va devoir apporter des informations utiles au débat pour défendre ou attaquer une théorie. Malheureusement, tel un vrai débat en société, les élèves oublient très vite que les informations apportées par les experts méritent plus d’attention et devraient être prises en considération dans la décision finale, ainsi que le fait que les personnages les plus charismatiques dans un débat n’ont pas forcément toujours raison. Les dynamiques de décision s’instaurent sans pour autant qu’elles soient productives. A la fin du débat l’enseignant révèle aux élèves s’ils ont gagné, en gardant la bonne hypothèse, ou s’ils ont perdu et nourri la discussion en fournissant une grille d’évaluation d’une théorie.

Les élèves se rendent compte de ne pas avoir réfléchi de façon concrète aux différents aspects de chaque théorie et en ressortent conscients du fait que, seul et sans levier rationnel, il est difficile de se construire une opinion informée.

Figure 7 : Exemple de carte théorie

Ces exemples ne sont qu’une goutte dans un océan d’activités variées et riches, présentes sur le site de la main à la pâte. Les retours des élèves et des enseignants sont toujours très positifs.

Figure 8 : Production élèves sur leur ressenti par rapport à ces activités

Pour aller plus loin et se former, une formation de la main à la pâte était présente sur magistère cette année et une formation est présente au PAF de l’année 2020-2021. Des ressources pour enseignants et formateurs sont aussi disponibles sur le site de la main à la pâte ! Si d’autres enseignants seraient motivés à travailler sur l’esprit critique dans leur classe et à faire parti du groupe de travail, n’hésitez pas à écrire à Mme André à ce sujet.

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