Extraits d'une conférence de M. Lemaire
Sources bibliographiques :
Pomerol et Feugueur è bassin de Paris " guides régionaux
" chez Masson
Soyer et Cailleux Géologie de la région parisienne (Que sais
je ?)
J.C Fontes " gypse du BP- historique et données récentes
" BRGM N° 58 (1968)
A Cormeilles
l'histoire a 400 000 siècles
Du fond de cette carrière, quarante millions d'années nous
contemplent...
Au-delà de ce pastiche et des quarante siècles de Bonaparte
aux grandes pyramides, C'est aussi toute la différence entre l'Histoire
des hommes et celle de la nature que nous entrevoyons : quarante siècles
quarante millions d'années...
Encore n'est-ce qu'un chapitre de ce prodigieux livre que nous pouvons feuilleter
ensemble. Feuilleter d'ailleurs au sens propre tout autant que figuré
car chaque strate, chaque feuillet est parfois le récit d'une saison,
et conserve l'empreinte, le souvenir d'une vie comme une fleur séchée
dans un très vieux livre.
Mais ce roman de la nature, nous le prenons longtemps après le premier
chapitre ; aussi comme dans un feuilleton, le plus prodigieux, faisons un
résumé des chapitres précédents.
2 000 m de sédiments...en 200 millions d'années
Il y a ... longtemps, plus de quatre milliards d'années, une planète se formait : la terre. A la fin du premier épisode, de la première ère géologique(ère primaire ou paléozoique- voir l'échelle des temps géologiques), l'affaissement du bassin parisien (qui ne portait pas encore ce nom et pour cause) produisit une vaste cuvette. C'était il y a deux cent cinquante millions d'années. Pendant le secondaire, des mers l'envahirent et y déposèrent 2000 mètres de sédiments pendant deux cents millions d'années:
Un empilement d'assiettes
Toutes les formations correspondantes sont disposées en bandes parallèles
et concentriques décroissant régulièrement d'altitude
en direction du centre : ce sont les auréoles périphériques
du Trias, du Jurassique et du Crétacé. C'est d'ailleurs à
10 km à peine de Cormeilles, à Saint-Denis que la sédimentation
atteint son épaisseur maximum et où l'emboîtement en cuvette
- auquel on a comparé l'empilement des étages est à son
maximum de dépression ; sous la charge colossale, le fond avait ployé
(phénomène de subsidence).
A la transition du secondaire et du tertiaire (cycle dano-montien) la mer,
venue de l'ouest, envahit progressivement une partie du territoire. C'est
alors le début d'un chassé-croisé mer,
golfe, lagune qui explique la grande complexité
de la région parisienne et la très grande irrégularité
des couches d'une même époque.
Début de la renommée de Cormeilles lorsque le gypse paraît
Nous arrivons ainsi au début visible de l'histoire de la
carrière de Cormeilles, il y a quarante millions d'années(à
l'Eocène). Il subsiste
alors un vaste golfe ou lagune où vont se concentrer gypse et marnes.
C'est là aussi que débutera une enquête qui souleva
tant de polémiques.
C'est l'épisode Ludien. Il appartient au Bartonien supérieur
et verra le dépôt de toutes les couches de gypse et de marnes
qui nous intéressent.
Le principe même de. la sédimentation parait simple. L'évaporation
d'une eau chargée de sels va amener leur cristallisation. Mais comment
se fait-il que nous trouvions des bancs d'une pureté pratiquement totale
(à 97 %) alors que nous partons inévitablement de multiples
sels dissous Cela impose d'abord un milieu assez calme permettant une première
classification par différence de densité puis précipitation
par concentration provoquée par l'évaporation
de l'eau Il faut ensuite qu'un apport continu existe sinon tous les sels contenus
dan une tranche donnée se déposeraient le uns après les
autres en quelques dixième de millimètre.
Il faut aussi un temps énorme. Deux chiffres vont permettre de s'en
rendre compte
Evaporation probable 100 cm par an ==>1 000 m d'eau = 40 cm de gypse...
- L'évaporation annuelle dans la région de la mer Morte est
de 160 cm et l'on ne pense pas qu'elle ait dépassé 100 cm dans
cette région qui, à l'époque, était chaud mais
non aride.
- La quantité totale de gypse contenu dans la première masse,
actuellement exploitée est de 17 m de gypse pur protégé
par 30 m de marne.On ne peut alors qu'admirer le banc parfaitement homogène
de 17 mètres qui constitue la " Haute Masse
" de la carrière.
Cet épisode sera suivi du cycle stampien (ou oligocène) qui
verra le dépôt d'argile, de calcaire et des sables de Fontainebleau
qui couronnent la butte témoin de Cormeilles.
Car les dépôts vont encore se poursuivre pendant quelques millions
d'années. Le contre-coup du plissement alpin soulève de 50 à
60 mètres le bassin parisien. L'érosion fait son oeuvre de destruction.
le lit des fleuves s'enfonce et au nord de l'axe de la Seine seules
quelques buttes témoins subsistent.
Les conditions y étaient réunies pour conserver le gypse soluble
protégé par les quelque 30 mètres de marre et d'argile
accumulées en diverses couches.
De l'origine ....
Il y a deux siècles, la carrière Lambert n'existait pas mais le gypse était exploité à Cormeilles depuis des centaines d'années. Les carrières de Montmartre, autre butte témoin, étaient elles en pleine exploitation c'est là que l'enquête commença. Ensuite les grands travaux qui se multipliaient dans la région permirent de renouer hypothèses et couches géologiques... sans oublier bien sur la grande saignée naturelle qu'est le lit de la Seine.
Des thèses très différentes : du dépôt
sédimentaire à l'action des bactéries Dans ce décor
allaient s'affronter au moins cinq thèses très différentes.
Les rebondissements furent nombreux, enquête passionnante, malheureusement
trop longue pour cet article. Retenons-en l'essentiel.
Lavoisier fut le premier à présenter le gypse à l'Académie royale des sciences. Mais dès 1780, Pralon, précurseur des hypothèses actuelles voit dans le gypse de Montmartre un dépôt marin. Lamanon lui propose une origine biologique. En 1965 elle sera encore défendue par Vinot (action couplée des bactéries sulfhydriques et sulfuriques).
Pour Cuvier une passion de 40 ans Pour Cuvier en 1796 la faune est continentale, le gypse est donc palustre. Il trouvera de violents contradicteurs. Cela n'empêchera pas le morceau de bravoure de son dernier ouvrage publié en 1835: la célèbre coupe, banc par banc, de la butte Montmartre de conserver aujourd'hui encore toute sa valeur. Les corrélations avec Cormeilles sont frappantes.
Fénéon, en 1832 proposait une origine chimique. Le calcaire aurait été attaqué par les " solfatares sulfuriques ".En 1855, une curieuse théorie fut défendue par Hébert : celle de gypse hydrothermal provenant d'éruptions boueuses, de geysers.
Trouve-t-on des traces de reptiles d'eau douce (Desnoyer en 1860). voici la preuve de l'hypothèse lacustre. Hélas Goubert lui oppose les marnes à Lucines qui établissent tout aussi péremptoirement les " affinités entre gypse et sédiment marin "...Un vague compromis entre gypse marin surmonté d'un gypse lacustre et l'on atteint la fin du siècle où l'on croit plus communément que l'origine du gypse doit être trouvée dans l'évaporation d'une eau marine dans une lagune.
En 1934, Finaton établit de solides arguments en faveur d'une origine lacustre...Etudes et relevés s'accumulent mais il faudra attendre 1934 pour un progrès décisif. Finaton réalise une remarquable synthèse des données bibliographiques, des études cristallographiques de Van T'Hoff et de ses recherches personnelles sur le Trias lorrain et l'oligocène d'Alsace. Il établit que seules les marnes intra et supra-gypseuses ont un - caractère lagunaire bien à l'inverse des masses de gypse qui - ont une origine lacustre -. Il proviendrait donc du lessivage du Trias salifère de l'Est de la France.
Malgré cela l'hypothèse marine est celle retenue vers 1960
Mais la controverse rebondissait en 1942 avec Deicha qui entraîne un nouveau revirement. L'hypothèse d'une origine marine (lagune ou fond de golfe) devient même classique autour des années soixante. Pourtant Soyer, le plus récent spécialiste de la carrière de Cormeilles, qui en 1942 avait admis l'élaboration de gypse dans des lagunes sursalées évoluait alors vers un dépôt dans une lagune estuarienne.
Nouveau revirement avec l'analyse isotopique le gypse de Cormeilles pourrait être une importation de LorraineLes jeux étaient-ils faits? C'était compter sans les méthodes modernes d'analyse, en particulier isotopiques.Fontès apportaient enfin des données quantitatives en faveur de l'hypothèse de Finaton.
La détermination du rapport isotopique 016/018 et le dosage du bore, semblent bien montrer que le gypse a été apporté par des eaux douces ayant lessivé l'arrière-pays salifère de Lorraine (Pomerol-Feugueur 1968).
Le procès sera-t-il rouvert ? Il faudrait de nouveaux éléments. mais ce rapide survol historique nous a appris à être prudent... et l'hypothèse marine conserve toute sa force pour d'autres gisements français.