Escape games et SVT Engagement, mobilisation des compétences et des savoirs, collaboration, coopération, découverte, autonomie.

Observer un milieu, équilibrer une réaction métabolique, réaliser une observation microscopique, analyser un graphique, émettre des hypothèses, manipuler, comparer des séquences génétiques, exploiter une carte géologique… Autant de savoir-faire travaillés au quotidien en Sciences de la vie et de la Terre tous niveaux confondus, en lien avec les notions des vastes domaines de la biologie, la géologie, l’environnement, l’Univers... Pour ce faire, les enseignants ont à leur disposition tout un panel de démarches (investigation, argumentation, historique…) et de modalités de travail. Parmi celles-ci, une a émergé récemment…

Et si on faisait jouer un escape game en classe de SVT ?

Jouer en classe ? Cela se fait depuis longtemps. En SVT, de nombreux jeux ont déjà été créés par des enseignants comme le jeu sur la sélection naturelle proposé par l’académie de Strasbourg, le jeu de plateau Biome sur la biodiversité sur notre site académique, ou encore des serious games en ligne comme Phalènes, Miamcraft [1], Nowatera
Un escape game pédagogique est une situation de jeu qui a ses particularités : elle se joue en équipe (5 à 10 joueurs le plus souvent), un scénario impose la résolution d’énigmes en un temps limité pour permettre une « évasion ». Les différents éléments sont agencés pour servir les objectifs pédagogiques du créateur : révision, mise en œuvre de savoir-faire, découverte de nouvelles notions… Par ce biais, l’enseignant propose une situation pédagogique propre à motiver et engager ses élèves dans une activité ludique, contextualisant les savoirs et permettant - voire « forçant » - la collaboration au sein du groupe de joueurs.

Les intentions pédagogiques des enseignants montant un escape game pour leurs élèves sont variées : jeu de cohésion en début d’année, mettre du ludique dans une séance habituellement un peu ennuyeuse, révisions de fin d’année ou en début d’un thème, ou tout simplement pour casser la routine. Cela peut aussi être une bonne occasion de travailler en interdisciplinarité, ou encore de faire de l’histoire des sciences, avec des joueurs qui doivent remonter le temps pour résoudre une situation passée !

Les éléments d’un escape game pédagogique réussi

Une fois le scénario annoncé (verbalement, ou sous forme audio-visuelle), un escape game débute classiquement par la fouille de la pièce à la recherche d’indices. Ce moment permet de s’approprier l’espace de la classe dans un nouveau contexte, et met immédiatement les élèves dans l’action. Les cachettes doivent être accessibles, pas trop difficiles : fixées derrière les rideaux, sur le côté d’une armoire, sous un tabouret, dans la poche d’une blouse… La sécurité ne doit pas être négligée : rien au plafond, et penser à fermer à clé ou interdire l’accès à ce qui ne doit pas être fouillé !

Il est important que les énigmes proposées ne soient pas des exercices, car… ce n’est pas très fun ! Le format exercice classique n’est pas en soi motivant pour la plupart des élèves, et est même en décalage avec l’ambiance ludique. L’absence de consigne est le point essentiel : les élèves doivent pouvoir réfléchir, relier certains indices entre eux, émettre des hypothèses, tester, se tromper, changer de stratégie... Ce sont les fondements mêmes de la démarche d’investigation. La variété des énigmes est aussi cruciale afin que chaque élève puisse s’y retrouver et briller dans un domaine propre : manipulation, réflexion, logique, ordonnancement, restitution de connaissances…

Aux côtés des contenus pédagogiques, véritables objectifs, l’aspect ludique ne doit pas être oublié. Les classiques des escape games sont aisément intégrables : cadenas, messages codés, QR-codes, encre invisible, réalité augmentée… Toute l’habileté du créateur doit s’exprimer dans l’entremêlement des éléments sérieux et ludiques, tout en préservant la cohérence du scénario.

Quand la salle de sciences devient escape room

L’idée n’est pas de transformer la salle de classe en aire de jeu, mais d’y injecter du challenge ludique. La notion d’évasion d’une pièce peut être détournée de multiples manières, en conservant cette idée de délivrance et d’urgence. Quoi de plus motivant pour l’esprit – et les mains ! – qu’un coffre cadenassé à ouvrir, une population à sauver ou un virus informatique à désactiver ?

En SVT, il est facile d’imaginer le détournement de nos outils et supports pédagogiques classiques : utiliser une loupe ou un microscope pour déchiffrer un message minuscule, réaliser un comptage pour trouver une valeur, trouver la position d’une mutation, déterminer la densité d’une roche, ordonner des images séquentielles (mitose, méiose…), etc. Sans oublier le code génétique, qui nous offre un tableau de chiffrage tout trouvé ! La liste pourrait être longue, la seule limite étant l’imagination du créateur.

On peut citer par exemple Lucille Legoubé qui, dans Decaz’Treasure, joue sur la lecture graphique (trouver l’augmentation de température...) et l’exploitation de la carte géologique de France. On retrouve cette même carte associée à une clé USB à débloquer dans Le Géocasse du Siècle (Stéphanie Sirot-Henry) ou encore la carte des fonds océaniques dans Or Noir, un escape game sur le pétrole de Mélanie Fenaert.

Il est possible aussi d’utiliser des questionnaires ou QCM dont les bonnes réponses fournissent des lettres ou des chiffres, ou encore d’insérer ces questions dans une vidéo enrichie avec EdPuzzle ou H5P.

Le décor de La Casa de Papel, un escape game sur le sol en Seconde de Yasmine Bellagha



Concernant le décor… le labo du savant fou est un must ! Cartes au mur, animaux empaillés, outils d’observation, roches, squelettes, maquettes, voire ancien matériel de laboratoire ou pédagogique (microscope à miroir, lecteur de diapositives, balance des années 50, disquette…). Ces éléments de décor peuvent aussi être le support de nombreuses énigmes, ne serait-ce que pour comprendre l’usage de certains ! Et pourquoi pas proposer aux élèves d’apporter un élément de décor ou de déguisement, à l’image de Stéphanie Sirot-Henry dans son escape game.

Ainsi aménagée, la salle regorge encore plus de cachettes. On peut même aller plus loin en exploitant des salles communicantes aux ambiances différentes, le passage de l’une à l’autre pouvant constituer une étape-surprise du scénario.
Hors la classe, certains lieux de sortie se prêtent aussi au jeu d’évasion. Citons l’exemple du Cabinet de Curiosités de la préparation à l’agrégation de la faculté d’Orsay, pour lequel Damien Vallot a conçu Curiosités !, un escape game permettant de découvrir ce magnifique cadre et son riche contenu scientifique et historique. On peut ainsi trouver de beaux terrains de jeu, par exemple dans un musée, ou lors d’une sortie de terrain.
Les expériences classiques sont d’inépuisables sources d’énigmes. Grégory Michnik (académie de Lille) a créé un mini escape game d’introduction d’une séance dans laquelle une des énigmes consiste à révéler au lugol les lettres ARES sur des feuilles de pelargonium préalablement décolorées… La résultat est assez spectaculaire !

Dans l’escape game ADN’igme (Nathalie Lepouder et Patrice Nadam, académie de Créteil), il faut réaliser une extraction d’ADN. La position de la « méduse », reliée à un autre indice, fournit un fragment du code recherché. Le protocole d’une expérience à réaliser peut lui-même être un support d’énigmes, avec des mots codés à déchiffrer, ou des étapes à retrouver et ordonner. Elle peut constituer l’objectif final du jeu, avec des éléments de protocole à retrouver, comme dans l’escape game La Casa de Papel.

La phase de jeu

Collaboration/coopération nécessitent d’avoir construit un scénario non linéaire. En effet, la fouille doit mettre à jour suffisamment d’indices pour occuper le groupe entier. En demi-classe, les élèves sont 15 à 18, ce qui est beaucoup pour un jeu d’évasion. Nombre d’enseignants font le choix de la division en plusieurs équipes jouant en parallèle : par exemple deux équipes de 9, trois équipes de 6… Dans un escape game, il faut veiller à ne pas rester sur le schéma de l’activité en binôme, mais miser sur le collectif. Chaque équipe peut avoir son propre « territoire » délimité, ou une couleur correspondant à certains des indices éparpillés dans la salle. Au sein de l’équipe, un grand nombre d’indices permet à chacun de choisir de se pencher sur une énigme plutôt qu’une autre, seul ou à plusieurs, sans se retrouver tous à bloquer sur la même étape. Cette coopération se décide en autonomie par les joueurs, ou doit parfois être stimulée par l’enseignant-game master qui rappelle que le chrono tourne…

Cette posture de maître du jeu permet au professeur d’observer ses élèves et leurs interactions sous un angle différent. On découvre des personnalités lors du jeu, des élèves effacés pouvant devenir leaders ou organisateurs de la coopération, d’autres plutôt scolaires se retrouvant parfois assez démunis devant un casse-tête, certains dévoilant une fibre de cambrioleurs en tentant – parfois avec succès ! – de cracker les cadenas...
Le game master a pour rôle aussi de différencier et d’adapter la difficulté des énigmes aux différents profils d’élèves, en fournissant si besoin ou à la demande des coups de pouce oraux ou écrits. Dans le cadre pédagogique, il faut avouer que l’objectif est généralement que les élèves parviennent au bout du défi et le remportent ! Une énigme finale rassemblant toute l’équipe, voire toutes les équipes jouant en parallèle, permet à chacun de profiter de l’éclat de la victoire.

Et est-ce qu’on apprend vraiment avec un escape game ?

Après tout jeu pédagogique, un débriefing est nécessaire. Il est à prévoir précisément lors de la conception (diaporama détaillant les énigmes, organigramme du jeu…), et un temps suffisant doit y être consacré (au moins 20 minutes). Les fortes émotions vécues fixeront en partie les événements, mais pour s’en assurer il faut faire retomber l’excitation. Il est important ensuite que les élèves puissent expliquer les uns aux autres les énigmes qu’ils ont résolues, car la coopération a été nécessaire et chaque élève n’a pu être en contact qu’avec quelques énigmes. Des mots doivent être mis sur ce qui a été appris, afin que l’impression d’avoir bien joué ne l’emporte pas sur les objectifs d’apprentissage de l’enseignant. Enfin, un temps de traces écrites est important, qu’il soit collectif ou pas, surtout si de nouvelles notions ont été découvertes durant l’escape game. La forme peut être libre, mais on peut aussi prévoir un schéma à compléter comme dans Decaz’Treasure, voire des exercices plus classiques pour revenir à un format d’entraînement plus scolaire, comme proposé avec l’escape game Code Nobel, ou encore leur demander une carte mentale collective.

Pour conclure

Concevoir un escape game pour ses élèves demande un temps de réflexion et de préparation assez important (la plupart vous parleront de dizaines d’heures… et c’est vrai !). Cependant l’investissement initial est largement compensé par le plaisir de la conception, notamment si elle a lieu au sein d’une équipe d’enseignants, et surtout la satisfaction de voir les élèves se prendre au jeu et en trouver le cheminement intellectuel. Rien n’empêche cependant de réaliser un escape game virtuel, à la manière d’un jeu vidéo (des outils ont été investis par les enseignants, comme Genially ou Jawa). Ce phénomène est observé dans de nombreuses matières (langues, physique-chimie, histoire…), mais il est assez rare en SVT, pour l’instant [2]. Ce fait est certainement en grande partie lié à l’importance du réel dans notre discipline. Le toucher, la manipulation, l’observation et l’utilisation d’échantillons biologiques ou géologiques sont au cœur de notre matière.
La modalité escape game est souvent présentée comme une activité très motivante pour les élèves. C’est le cas, pour la grande majorité d’entre eux ! Mais au-delà de la seule motivation, le défi-évasion permet la mise en œuvre des savoir-faire spécifiques de notre matière, mais aussi de compétences comme l’autonomie, la collaboration/coopération, l’intelligence collective, la démarche d’investigation. Les élèves y vivent des émotions fortes, qui font qu’ils se souviendront longtemps des énigmes qu’ils ont affrontées, et, si le débriefing a été bien mené, des notions qui les accompagnent.

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Une sélection d’escape games en SVT

Retrouvez ici les escape games pédagogiques cités dans cet article et quelques autres.

ESCAPE GAME Descriptif
Curiosités ! Un jeu d’évasion conçu pour l’ouverture du cabinet de curiosités de la préparation à l’agrégation SVT d’Orsay lors de la Fête de la Science, par Damien Vallot (académie de Versailles). À destination des Cycles 3 et 4.
Mistralia mysteriosis Un TP ludifié reprenant tous les codes des escape games, autour de la nutrition des plantes en Cycle 4, par Magalie Caron (académie de Grenoble).
Bienvenue au Muséum d’histoire naturelle Un escape game réel et sa version virtuelle autour de la classification des êtres vivants, en Cycle 4, par Julien Tissinier (académie de Créteil).
DECAZ’Treasure Un escape game pour tout découvrir sur le charbon, en Seconde, de Lucille Legoubé (académie de Versailles).
Coal me ! Une activité sur le charbon, en Seconde, qui emprunte de nombreux codes des escapes games, sans en être tout à fait un... Un bel exemple de format intermédiaire entre activité classique et jeu d’évasion, par Claire Lambert (académie de Nancy-Metz).
La Casa de Papel Un jeu créé par Yasmine Bellagha (académie de Versailles) où les élèves de Seconde incarnent les personnages de la série du même nom et affrontent des énigmes sur le sol pour s’évader du sous-sol d’une banque.
La Grande Évasion Des révisions de fin de Seconde sur différents thèmes du programme, pouvant aussi être exploités en début de Première S, par Pauline Aubry (académie de Versailles).
Code Nobel Révisions de notions de génétique, de savoir-faire et découverte du code génétique en Première S, par Mélanie Fenaert (académie de Versailles).
ADN’igme Un jeu d’évasion créé par Nathalie Lepouder et Patrice Nadam (académie de Créteil) pour découvrir la structure de l’ADN, en Seconde.
Un escape game en SVT Des révisions ludiques pour les Terminales S, par Margaux Berthier (académie de Créteil).
Pandémie Découvrir la structure des anticorps et la méthode d’Ouchterlony en Termianle S, par Lorianne Berthaud (académie de Versailles).
Des ressources complémentaires

Notes

[1Retrouvez toutes les productions de Philippe Cosentino à cette page, dont beaucoup sont gamifiées.

[2Julien Tissinier a créé une version virtuelle de son escape game réel Bienvenue au Muséum d’histoire naturelle, afin que les élèves puissent y rejouer de retour chez eux.

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