Une modélisation de l’action de l’environnement sur la fréquence allélique

Exemple de l’influence de l’environnement sur la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de Moustiques (Culex quinquefasciatus).

Cet article contient une proposition d’utilisation pédagogique du logiciel "évolution allélique" en classe de Terminale S. Elle se place après avoir abordé le concept de sélection naturelle. Des activités de modélisations sont proposées avec pour objectif d’une part de réinvestir sur-le-champ les notions de pression sélective positive et négative, d’autre part de discuter de la pertinence des modélisations effectuées (= ce que prédit le modèle est-il bien le reflet de la réalité ?). La piste pédagogique retenue ici place donc la modélisation juste après la construction des notions relatives à la sélection naturelle. La prise en main du logiciel est très aisée et la somme des activités de modélisation décrites ci-après représente une durée de travail d’environ 40 minutes avec les élèves.


 Contexte scientifique et pédagogique de l’activité
 Description de l’activité :
1. Les ressources mises à disposition des élèves pour cette activité
2. Les directives de travail données aux élèves
3. Des exemples de modélisations (réalistes ou non) pouvant être réalisées par les élèves : situation n°1- situation n°2- situation n°3
 Fiche synthétique des trois modélisations commentées

Contexte scientifique et pédagogique de l’activité


Nombreuses sont les ressources pédagogiques qui invitent à choisir comme support l’exemple de la résistance des moustiques aux insecticides pour démontrer l’action de l’environnement sur la fréquence allélique et introduire ainsi le concept de sélection naturelle. Parmi ces ressources on peut citer :

 le dossier "Résistance des moustiques aux insecticides organophosphorés" (conception : Monique Dupuis et Jean-Claude Hervé) publié par l’INRP ;

 le développement "Exemple des estérases - résistance des Moustiques aux insecticides" dans les suggestions pédagogiques d’utilisation du logiciel Anagène 2 (notice page 169 à 178), associé à la banque de données de ce même logiciel ;

 le corpus de documents proposé dans le manuel Hatier Terminale S, page 114, dans un exercice intitulé "évolution d’une population de moustiques" ;

 divers énoncés de questions de type II.2 de l’épreuve écrite du baccalauréat S : Asie, bac 2007 ; Polynésie, bac 2007.

L’activité pédagoqique proposée ci-dessous se situe une fois que tout ou une partie de ces ressources ont été utilisées, donc une fois que la notion "les mutations qui confèrent un avantage sélectif aux individus qui en sont porteurs ont une probabilité plus grande de se répandre dans la population" a été construite (sous-partie "Etude de trois exemples entre mécanismes de l’évolution et génétique" dans la partie "Stabilité et variabilité des génomes et évolution" du programme de Terminale S, enseignement obligatoire). Il s’agira alors de réaliser avec le logiciel "évolution allélique" une modélisation de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans différentes conditions environnementales (présence ou non d’insecticides organophosphorés dans le milieu de vie des Moustiques de l’espèce Culex quinquefasciatus) et de discuter du réalisme de la modélisation en confrontant les résultats qu’elle donne avec les données de terrain et/ou de laboratoire.

Description de l’activité


1. Les ressources mises à disposition des élèves pour cette activité

Type de ressource Description de la ressource
Logiciel "évolution allélique" (auteur : P.Cosentino, académie de Nice) Si un gène est représenté par deux allèles " 1 " et " 2 ", la modélisation réalisée par le logiciel permet de suivre l’évolution de la fréquence f de l’allèle " 1 " de génération en génération. Cette simulation s’appuie sur un programme mathématique de Kent Holsinger (Université du Connecticut, USA).
Fiche "principe_modélisation"
principe_modelisation
Fondements scientifiques de la modélisation réalisée par le logiciel évolution allélique" : notion de valeur sélective et fondements mathématiques du modèle ; présentation de ce que peut faire l’utilisateur et de ce que calcule le logiciel.
Documents référents pour tester les modèles
documents_referents
Document 1 : Résultats de tests de laboratoire : action d’une dose standard de l’insecticide DDT sur des larves de Moustiques prélevées à divers moments (avant ou après l’épandage d’insecticides dans la région)
Document 2 : Données de terrain et de laboratoire

2. Les directives de travail données aux élèves

- Paramétrer la modélisation, dans différents environnements (milieux ayant été ou non soumis à l’épandage d’insecticides), en choisissant de manière réaliste les valeurs sélectives.

 Vérifier le réalisme de la modélisation en confrontant ses résultats avec "le réel" c’est-à-dire les proportions des différents phénotypes de moustiques recensés dans les différents environnements et modifier le cas échéant les paramètres de la modélisation de manière à ajuster le modèle à la réalité.

 Expliquer les variations de fréquence allélique dans chaque condition environnementale.


3. Des exemples de modélisations (réalistes ou non) pouvant être réalisées par les élèves

Dans chacune des simulations réalisées ci-dessous, E1 désigne un allèle "normal" du gène de l’estérase (on rappelle que l’enzyme estérase, en hydrolysant les liaisons ester, fait perdre sa toxicité aux insecticides organophosphorés) ; E2 désigne un allèle constitué par 250 séquences répétées de l’allèle E1 (on rappelle que l’innovation génétique en cause est une duplication génique ayant affecté le gène de l’estérase). Par conséquent, les allèles E1 et E2 déterminent respectivement les phénotypes "sensible à l’insecticide" et "résistant à l’insecticide". Ces notations sont une simplification de la réalité : il existe concrètement non pas un mais deux gènes de l’estérase : les gènes Est2 et Est3. On appelle "ester" un "supergène" résultant de l’amplification c’est-à-dire de la duplication génique d’un gène de l’estérase. Pour des raisons pédagogiques, cette complexité n’a pas été prise en compte dans ce dossier : ce qu’on appelle ici l’allèle E2 est en réalité un supergène "ester".

 Situation n°1 : suivi de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de moustiques AVEC épandage d’insecticides

 Situation n°2 : suivi de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de moustiques SANS épandage d’insecticides

 Situation n°3 : suivi de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de moustiques AVEC épandage d’insecticides et en l’absence de variabilité génétique initiale


Situation n°1 : suivi de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de moustiques AVEC épandage d’insecticides

Paramétrage de la modélisation :
Justifications de ce paramétrage :

(1) : E1 désigne un allèle "normal" du gène de l’estérase ; E2 désigne un allèle constitué par 250 séquences répétées de l’allèle E1. Les allèles E1 et E2 déterminent respectivement les phénotypes "sensible" et "résistant".

(2) : On choisit une fréquence initiale élevée pour l’allèle E1 en observant les documents référents : avant épandage d’insecticide, ainsi que dans les régions où il n’y a pas eu d’épandage, le phénotype sensible est très majoritairement représenté.

(3) : On sait que l’enzyme estérase, en hydrolysant les liaisons ester, fait perdre sa toxicité aux insecticides organophosphorés. Pour cette raison, on attribue une valeur sélective plus importante aux individus porteurs de l’allèle E2.
Résultat de la modélisation :
Commentaire :

On observe une bonne adéquation entre le modèle calculatoire (qui prédit une faible fréquence de l’allèle E1 au bout d’un certain nombre de générations) et la réalité (les documents référents 1 et 2 font chacun état de la faible représentation du phénotype "sensible à l’insecticide" dans un milieu où des insecticides ont été répandus). On peut donc dire que cette modélisation a été paramétrée avec pertinence !

L’élève doit pouvoir expliquer la diminution au cours du temps de la fréquence de l’allèle E1 par la pression sélective négative que subissent les moustiques de génotype E1/E1 (ils ne sont pas résistants à l’insecticide car l’allèle E1 ne leur permet pas de produire beaucoup d’estérase) tandis que les moustiques E2/E2 sont soumis à une pression sélective positive (ils sont résistants à l’insecticide car la présence de l’allèle E2 leur permet de fabriquer une très grande quantité d’estérase qui fait perdre sa toxicité à l’insecticide)


Situation n°2 : suivi de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de moustiques SANS épandage d’insecticides

On indique aux élèves qu’il s’agit ici de simuler ce qui se passerait si des Moustiques préalablement soumis à l’épandage d’insecticides étaient ensuite replacés dans un environnement dépourvu d’insecticides. Pour qu’ils puissent effectuer le paramétrage de la modélisation, on leur indique qu’ils peuvent imaginer le scénario suivant : l’épandage d’insecticides est interrompu au bout de 10 mois dans la région de Montpellier.

Paramétrage de la modélisation :
Justifications de ce paramétrage :

(1) : La situation dictée étant : "on se situe après 10 mois d’épandage et on interrompt l’épandage", on lit sur le document référent 1 qu’à ce moment précis les phénotypes "résistant à l’insecticide" et "sensible à l’insecticide" sont présents en même proportion, ce qui conduit à paramétrer des fréquences identiques pour les allèles E1 et E2.

(2) : On imagine des valeurs sélectives identiques pour tous les génotypes, comme si, a priori, le fait de fabriquer plus ou moins d’estérases n’avait pas d’importance dans un environnement dépourvu d’insecticide.
Résultat de la modélisation :
Commentaire :

On n’observe pas d’adéquation satisfaisante entre le modèle calculatoire (qui prédit des fréquences assez semblables pour les allèles E1 et E2) et la réalité (les documents référents 1 et 2 font chacun état de la faible représentation du phénotype "résistant à l’insecticide" dans un milieu où les insecticides n’ont pas été répandus).

On peut donc dire que cette modélisation comporte un défaut de paramétrage : on doit affiner le modèle !

Pour que les élèves puissent corriger les défauts de la modélisation précédente, on leur fournit les informations suivantes : d’une part la propriété de résistance aux insecticides a un "coût" énergétique : la quantité d’estérases produites peut atteindre 6 à 10 % du poids de l’insecte et cette quantité est produite inutilement dans un milieu sans insecticide ; d’autre part il est prouvé que les moustiques fabriquant beaucoup d’estérases sont plus sensibles que les autres aux Bactéries Wolbachia qui ont une action néfaste sur la reproduction des moustiques.

Nouveau paramétrage de la modélisation :
Justifications de ce paramétrage :

(1) : On réajuste les valeurs sélectives en choisissant de diminuer la valeur sélective du génotype E2/E2 par rapport à celle du génotype E1/E1, car un moustique de génotype E2/E2 fabrique 250 fois plus d’estérase qu’un moustique E1/E1. Cette énorme production d’estérases est coûteuse et diminue la capacité de reproduction du moustique.
Résultat de la modélisation :
Commentaire :

On observe cette fois une bonne adéquation entre le modèle calculatoire (qui prédit une forte fréquence de l’allèle E1 au bout d’un certain nombre de générations) et la réalité (les documents référents 1 et 2 font chacun état de la très faible représentation du phénotype "résistant à l’insecticide" dans un milieu où les insecticides n’ont pas été répandus).

L’élève doit pouvoir avancer les raisons de l’augmentation au cours du temps de la fréquence de l’allèle E1 : dans un milieu sans insecticide, une pression sélective positive s’exerce sur les moustiques de génotype E1/E1 tandis qu’une pression sélective négative s’exerce sur les moustiques de génotype E2/E2 (la production massive d’estérases "pour rien" a un coût énergétique et rend les moustiques plus sensibles à la bactérie Wolbachia ce qui diminue leur capacité de reproduction).


Situation n°3 : suivi de la fréquence des allèles du gène de l’estérase dans une population de moustiques AVEC épandage d’insecticides et en l’absence de variabilité génétique initiale

Il s’agit ici de créer une situation inhabituelle dont la finalité est de montrer que la sélection naturelle n’a pas de prise sur une population ne montrant pas de variabilité génétique. Pour que les élèves puissent effectuer le paramétrage de la modélisation, on leur indique qu’ils peuvent imaginer le scénario suivant : d’une population de moustiques on extrait quelques moustiques homozygotes pour le gène de l’estérase, tous sensibles aux insecticides, que l’on place dans un environnement où de l’insecticide a été répandu.

Paramétrage de la modélisation :
Justification de ce paramètrage :

(1) : Le choix d’une fréquence égale à 1 pour l’allèle E1 est dicté par la situation imposée : "en l’absence de variabilité génétique initiale "

(2) : En ce qui concerne les valeurs sélectives, on choisit exactement les mêmes paramètres* que pour la situation n°1, pour laquelle le résultat de la modélisation avait conforté la pertinence du paramétrage.

* Le fait d’affecter des valeurs sélectives à des génotypes non représentés dans la population initiale (moustiques hétérozygotes E1/E2 et moustiques homozygotes E2/E2), alors que la population de départ ne renferme que des moustiques E1/E1, peut paraitre surprenant. Concrètement, cet exemple de paramétrage correspond à celui d’un élève qui prévoit que la présence d’insecticides dans le milieu va faire "apparaitre" des moustiques de phénotype résistant à l’insecticide ...
Résultat de la modélisation :
Commentaire :

La prédiction réalisée par le logiciel montre la persistance de l’allèle E1 à une fréquence maximale dans la population, malgré le désavantage que confère la possession de cet allèle. C’est donc que, malgré la présence d’insecticides dans l’environnement, la sélection naturelle n’a pas joué !

L’élève doit pouvoir expliquer l’absence de fluctuations des fréquences alléliques** par le fait que pour que la sélection naturelle s’exerce, il faut au départ une variabilité génétique (existence de plusieurs allèles) dans la population. En d’autres termes, ce n’est pas la modification environnementale (ici, l’épandage d’insecticides) qui génère l’innovation génétique, mais bien l’innovation génétique qui précède la sélection.

**Par contre, l’effectif des moustiques sensibles à l’insecticide diminue, puisque l’insecticide agit. La fréquence de l’allèle E1 est constante au sein de la population, mais pour un effectif en baisse.

Fiche synthétique des trois modélisations commentées

fiche_synthetique

 Voir l’article de Michel Raymond et son équipe (Institut des Sciences de l’Evolution - Université de Montpellier II) : "La résistance du moustique Culex pipiens aux insecticides" (Médecine-Sciences, décembre 2003).
 Dossier réalisé par Anne FLORIMOND, lycée Richelieu, Rueil-Malmaison, académie de Versailles.
 Remerciements à Patrick SCREF pour ses conseils et sa relecture attentive.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)