Science et pseudo-sciences : repères pour l’enseignement

Le grand public et les élèves ne maîtrisent pas forcément bien ce qu’est véritablement la science et la démarche scientifique. La science est souvent perçue comme un moyen de détenir des "vérités scientifiques" incontestables. Il est dès lors très facile de détourner la science et de s’en servir pour dire tout et n’importe quoi, ce qui décrédibilise le travail des chercheurs et l’enseignement d’une culture et d’une démarche scientifique. Quelques mises au point pour développer la culture d’un esprit scientifique ou pour corriger certaines idées reçues.

I- Une question de langage et de méthode

Demandez ce qu’est autour de vous une théorie scientifique. Il y a fort à parier que l’on vous dise qu’il s’agit d’idées qui ne sont pas sûres, donc auxquelles on peut adhérer ou pas. Pourtant, une théorie scientifique est tout sauf une question de croyance...

Commençons donc par les bases :

Qu’est-ce que la science ?

On peut la définir comme étant une pratique humaine. Un système d’acquisition de la connaissance sur le monde réel, basé sur la méthode scientifique.

Qu’est-ce que la méthode scientifique ?

Il s’agit d’une collecte d’informations et d’observations.
On formule puis on teste des hypothèses.
Il s’agit d’une méthode basée sur la reproductibilité des expériences. Autrement dit, si vos expériences ne sont pas réalisables dans les mêmes conditions partout dans le monde ou si vous raisonnez à partir de telles expériences, vous ne faites pas de la science.

Un principe de base de la méthode scientifique est le matérialisme méthodologique : on ne peut tester et observer que le monde matériel.

Un autre principe est le raisonnement scientifique : toute explication doit être justifiée et aussi objective que possible.
Donc tout doit être documenté et les informations accessibles. Les résultats doivent être diffusés.
Le fait que le résultat d’une étude scientifique soit positif (confirmation de l’hypothèse) ou négatif (infirmation) apporte une information, il faut donc en tenir compte.

L’ensemble de ces considérations vise à assurer l’universalité de la logique et de l’expérimentation.

Comme la science repose sur l’objectivité et sur la déduction, elle est souvent vue par les non-scientifiques comme un moyen d’obtenir des "vérités scientifiques", des sortes d’idées qui seraient incontestables. Bien au contraire :

 il peut y avoir des erreurs d’observation, d’expérimentation, d’interprétation... Auquel cas les études doivent être refaites.

 les progrès des techniques permettent d’obtenir des informations nouvelles et éventuellement remettre en cause les interprétations faites précédemment

 pour une même étude, il peut y avoir différentes interprétations possibles. Les études doivent alors être poursuivies pour obtenir des informations complémentaires et préciser les raisonnements.

Les discussions scientifiques permettent ainsi de faire progresser les connaissances, de compléter les raisonnements, de poursuivre les études, etc.

En fonction des cas, plusieurs interprétations sont possibles si par exemple on est limités par les techniques actuelles, il peut donc y avoir plusieurs opinions différentes sur un même sujet. Dans ce cas, en l’absence de données complémentaires, elles sont recevables scientifiquement si elles sont basées sur des raisonnements scientifiques.
Ce n’est pas la loi du plus fort...

Qu’est-ce qu’une théorie scientifique ?

Il s’agit d’une explication justifiée d’un aspect du monde réel.
Ce n’est donc pas une simple idée mais une construction logique qui se base sur la méthode scientifique (voir au-dessus).
Elle peut incorporer des faits, des lois scientifiques, des prédictions, des hypothèses qui ont été soumises à des tests.
Ainsi elle recueille un consensus de la part des scientifiques.

Une théorie scientifique dépend de l’état des connaissances scientifiques au moment où elle est formulée, elle peut donc être remise en question, être reformulée, abandonnée, etc., comme tout raisonnement scientifique.

II- Comment reconnaître une pseudoscience ?

A travers plusieurs exemples, voici plusieurs moyens de détecter si vous avez affaire à une personne ou une théorie qui n’ont rien à voir avec la recherche scientifique.

 Exemple n°1 : "La science est une question de croyance. On peut donc croire ou pas à telle ou telle théorie".

Dieu étant par définition ni reproductible ni observable, il n’est donc pas un objet d’étude possible de la science. On ne peut donc en science résoudre des questions métaphysiques. Science et religion sont deux domaines différents et l’on peut trouver des scientifiques athés ou croyants. La Science ne vous éloigne ni ne vous rapproche de Dieu...

La religion explique par exemple pourquoi il y a la vie, pas la science, qui étudie le réel de manière raisonnée, par exemple les mécanismes d’évolution des êtres vivants depuis leur apparition.

D’autre part, en religion, on a à accepter des idées indiscutables, à croire sans comprendre, alors qu’en science on construit en permanence un savoir.

 Exemple n°2 : "La théorie de l’évolution n’est qu’une théorie, donc ce n’est pas certain / on n’y connaît rien".

On ne peut pas vraiment être pour ou contre une théorie scientifique puisqu’il s’agit d’une construction raisonnée, d’une explication justifiée d’une partie du monde réel, incorporant des faits, des lois, des prédictions, des hypothèses.
L’ensemble est soumis à la méthode scientifique.
Cela veut dire que l’on ne prend pas en compte un avis s’il n’est pas testé et validé par cette méthode, et encore moins des croyances.

 Exemple n°3 : On essaye de critiquer des théories existantes, comme si détruire la théorie adverse donnait raison à celui qui critique.

Outre l’absurdité de ce raisonnement, on peut préciser que la science n’est pas la loi du plus fort et que l’on peut remettre en question tout raisonnement scientifique à partir du moment où l’on utilise la méthode scientifique.
En science, les idées évoluent en fonction des connaissances du moment. C’est un processus normal et habituel. Il n’y a pas de vérité scientifique définitive.

 Exemple n°4 : "Oublis" de citations, de sources, de références, ou utilisation de citations hors contexte.

On peut faire dire tout et n’importe quoi à n’importe qui si on se limite à des citations non vérifiables ou en dehors de leur contexte. Et ce n’est pas valable qu’en science...

De plus, tout chercheur prêt à faire une publication scientifique a l’obligation de lire les publications scientifiques précédentes sur le même sujet et les citer, afin de montrer sa base de travail, faire un état des lieux des connaissances, reconnaître la précédence des découvertes et renvoyer le lecteur vers des articles complets sur tel ou tel point de l’étude.
Un choix pertinent des sources est donc nécessaire...

Les publications scientifiques sont soumises au "peer-review", c’est-à-dire à une évaluation avant publication de l’article par des évaluateurs compétents et indépendants du chercheur (vérification de la méthodologie, du raisonnement, des citations...) afin d’apporter les éventuelles corrections nécessaires.

 Exemple n°5 : Théorie de la conspiration

"On nous cache des choses". "On ne veut pas accepter telle ou telle explication."

Paranoïa et science ne font pas bon ménage. Comme si le fait d’être (soi-disant) persécuté donnait forcément de la crédibilité à ce que l’on dit.

Le fait de ne pas obtenir de financements dépend de multiples intérêts politiques, économiques ou autres. La popularité d’un domaine de recherche est plutôt un phénomène de mode.

De plus, les nouveaux résultats peuvent mettre du temps à être acceptés dans la communauté scientifique, mais s’ils se basent sur la méthode scientifique, c’est qu’ils sont vérifiables et qu’il est possible d’obtenir ce même résultat indépendamment. Les vérifications peuvent prendre du temps, mais s’il y a confirmation, c’est le premier chercheur ayant publié l’information qui aura la paternité de la découverte.

 Exemple n°6 : avoir comme source des articles publiés dans des revues sans peer-review.

Voir le point précédent pour l’explication de ce type de revue. Elle permet d’assurer un certain sérieux et une procédure de validation des recherches par plusieurs chercheurs compétents.
C’est pour cela que seules les revues avec ce peer-review (= révision par des pairs) sont considérées comme des revues scientifiquement valables.

 Autres exemples : Comparer ce qui n’est pas comparable ; pas de contre-propositions testables ; des publications nombreuses (comme si quantité était synonyme de consensus ou de qualité) ; négation de la notion d’autorité scientifique ; avoir comme caution des scientifiques s’exprimant hors de leur spécialité ou ayant un conflit d’intérêt ;...

Conclusion

Les exemples de controverses qui utilisent à tort la science soit comme source de crédibilité soit pour soi-disant détruire les théories existantes afin d’imposer des idées douteuses sont malheureusement courants.

Ainsi, les partisans actuels de l’Intelligent Design (version actuelle du créationnisme) font tout pour donner au créationnisme moderne un air de science : de nombreux chercheurs, des publications, des raisonnements soi-disant scientifiques...
Pourtant, on retrouve tous les travers évoqués dans les exemples ci-dessus : les articles sont publiés dans des revues obscures, sans peer-review et ne contiennent souvent aucun argument. Les raisonnements n’ont rien de scientifique et ne tiennent pas la route. Mais le lobbying est intense et le public visé est constitué des personnes qui n’ont pas les connaissances pour les critiquer.
Face à la complexité du monde vivant, il est très facile de dire qu’il s’agit de quelque chose qui nous dépasse et donc de sous-entendre que l’univers est trop complexe pour ne pas avoir été créé par une main divine. Aucun scientifique n’ira prétendre qu’il est capable de tout expliquer. Ce n’est pas pour cela que tout n’est pas explicable ou que cela ne le sera pas un jour...

Une formation, un enseignement scientifique de qualité et à destination de tous sont à mon avis nécessaires pour éviter ces écueils.

A lire aussi : Enseigner l’évolution de la lignée humaine, le retour des "vieux démons" ?

Remerciements à Agnès Dettai, Maître de conférences au MNHN

A. SALOME

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