Enseigner l’évolution de la lignée humaine, le retour des "vieux démons" ?

Cet article reprend le contenu d’un atelier préparé dans le cadre d’un colloque « Enseigner l’évolution, la pédagogie des sciences face aux obscurantismes », organisé dans l’académie de Paris, avec l’IUFM de Paris en collaboration avec le Muséum d’Histoire Naturelle.

Ce colloque s’inscrit dans la réaction aux résurgences créationnistes, dont le dessein intelligent est l’une des têtes, et dont quelques coups d’éclats – diffusion du documentaire Homo sapiens sur Arte et surtout envoi de l’Atlas de la création dans des établissements scolaires – ont suscité des inquiétudes tant dans le monde scientifique que dans le monde de l’enseignement.

Le programme du colloque était le suivant :

Conférences le mercredi 13 février 2008 :

◊ 1ère conférence : Approche historique et épistémologique de l’évolution par Cédric Grimoult (Historien des Sciences Biologiques)
Contexte historique et scientifique de la naissance de la théorie darwinienne de l’évolution. Réflexion autour de la réception du modèle évolutif par le monde scientifique, civil et religieux.

◊ 2ème conférence : Théorie scientifique, pseudosciences et religion : quelles menaces la confusion des genres représente-t-elle ? avec Armand de Ricqlès (Professeur au Collège de France, chaire de biologie historique et évolutionnisme) et Jacques Arnould (Philosophe, Historien des Sciences et Théologien, chargé des questions éthiques au CNES) -
Discussion autour des idéologies créationnistes et pseudo-évolutionnistes (Intelligent Design…). Intrications religieuses, politiques, philosophiques.

Ateliers le jeudi 14 février 2008 :

◊ Atelier n°1 : Enseigner l’évolution de la lignée humaine, le « retour des vieux démons » ? - Des conceptions des élèves aux propositions pédagogiques avec Bruno Boucher (Professeur de SVT, GEP de l’académie de Versailles)

◊ Atelier n°2 : Des données de terrain à la théorie, une réflexion sur la démarche et les outils.- Atelier en galerie de paléontologie avec Sophie Sanchez (Doctorante monitrice au Muséum) et Mikael Agolin (Enseignant-chercheur ATER au Muséum)

◊ Atelier n°3 : Quels arguments utiliser pour réfuter ? Convaincre ou Argumenter ? - Analyse des caractéristiques communes aux pseudosciences avec Agnès Dettai (Maître de conférences au Muséum)

Les actes du colloque seront publiés prochainement dans l’académie de Paris (IUFM, site académique). J’indiquerai les liens lorsqu’ils seront connus.

Nous avons ici un sujet très délicat sur lequel je ne saurai me positionner en autorité. Mon propos peut être discuté et j’espère enrichi, en particulier à destination des collèges. Un forum est associé à cet article pour recueillir vos réactions, commentaires, questions ou solutions.


Atelier n°1 : Enseigner l’évolution de la lignée humaine, le « retour des vieux démons » ?

Des conceptions des élèves aux propositions pédagogiques.

Caricature de Charles Darwin dans le magazine satirique The Hornet en 1871

A lire au préalable, aussi sur ce site :
Pistes de réflexion sur les obstacles à l’enseignement de la théorie de l’évolution

Première partie : La théorie de l’évolution en résumé et l’évolution de la théorie



Deuxième partie : hasard et finalisme



Troisième partie : Vitalisme et mécanisme



Quatrième partie : la place de la Science, Religion et Morale

Bien qu’antérieur, le présent article peut venir conclure cette réflexion sur l’enseignement de l’évolution.

Mon propos n’est pas centré sur la problématique créationniste. J’y arriverai à la fin pour faire le lien entre les arguments créationnistes et les représentations initiales. Je me suis plutôt concentré sur le sous-titre de l’atelier.

Trois citations pour résumer les principales idées que je veux développer :

« Chacun sait que les organismes s’améliorent à mesure qu’ils évoluent. Ils deviennent plus perfectionnés, plus modernes et moins primitifs. Et chacun sait, selon Dan McShea (qui a publié un article intitulé « Complexité et évolution : ce que chacun sait »), que les organismes deviennent plus complexes à mesure qu’ils évoluent. Depuis la première cellule qui précipita dans la soupe primordiale jusqu’à l’impressionnante sophistication de Homo sapiens, l’évolution de la vie a été - chacun le sait - un long cheminement vers une plus grande complexité. Le seul problème avec ce que chacun sait... c’est qu’il n’est pas évident que ce soit vrai. »
Lori Oliwenstein, dans Discover (juin 1993)

« Si l’Homme n’avait pas été son propre classificateur, il n’eût pas songé à fonder un ordre séparé pour s’y classer. »
Charles Darwin

« Nous nous voulons nécessaires, inévitables, ordonnés de tout temps. Toutes les religions, presque toutes les philosophies, une partie même de la science, témoignent de l’inlassable, héroïque effort de l’humanité niant désespérément sa propre contingence. »
Jacques Monod

L’évolution est un sujet très complexe et donc son enseignement est difficile, du fait de cette complexité mais aussi des zones d’ombres qui restent et de l’évolution même de la théorie.

Ces difficultés sont accrues par l’existence de nombreuses idées préconçues et souvent fausses, qui sont ici d’autant plus difficiles à lever lorsqu’on aborde la lignée humaine qu’elles touchent un sujet sensible et viennent rencontrer, souvent heurter, des conceptions métaphysiques, réponses de la théologie ou de la philosophie à ces questions fondamentales du qui sommes nous et d’où venons-nous. Sans doute les créationnistes seraient-ils moins heurtés par l’évolution si elle ne s’intéressait qu’aux bactéries ou aux cafards.

Quelles sont ces conceptions avec lesquelles les élèves nous arrivent et comment y répondre ?

I. Les représentations initiales.

1. Ce que les élèves ont en tête :
Quelle est la place de l’Homme par rapport aux autres êtres vivants ? Qu’est-ce qui le caractérise ? Des réponses d’élèves à ces questions.

2. Des images en dehors des SVT :
Exemples de représentations de l’évolution de la lignée humaine, pris sur le net et à la télévision.

3. Des représentations ancrées dans notre culture :
Des représentations anciennes : Aristote et quelques autres.

II. L’enseignement de l’évolution de la lignée humaine

1. Les textes officiels :
Nouveau programme de 3ème, programmes de 1ère L, 1ère ES et Tale S

2. Un exemple de programmation

3. L’entretien des représentations initiales ? :
Notre façon d’enseigner peut-elle renforcer certaines représentations ?

III. Interroger les représentations initiales pour les remettre en cause

Des exemples pour faire réfléchir.

IV. Créationnisme et dessein intelligent

Un retour aux représentations initiales.

Bibliographie


I. Les représentations initiales.

1. Ce que les élèves ont en tête

Pour préparer l’atelier, j’ai demandé à ma classe de 1ère S (les Terminales S ayant déjà traité le chapitre lignée humaine) de découper et coller quelques images d’êtres vivants pour montrer quelle est pour eux la place de l’Homme dans le monde vivant. Ils avaient le document suivant :

Place de l’Homme
Recueil de représentation initiale sur la place de l’Homme

Ils n’ont pas eu plus de consignes, je leur ai juste dit qu’ils pouvaient s’ils le voulaient relier les images.
Ils devaient justifier leur construction et indiquer (question difficile) ce qui pour eux caractérise l’Homme.

En triant, on s’aperçoit que certaines représentations reviennent régulièrement :

• L’Homme est au bout : ce peut être en haut ou en bas mais il est généralement à une extrémité, ceci pour des raisons diverses :
 parce qu’il a le plus grand pouvoir de nuisance
 parce qu’il est celui qui mange les autres
 parce qu’il est le plus développé/évolué/complexe
 parce qu’il est le plus intelligent
 parce qu’il est le dernier apparu

Les mots de développé, évolué, complexe et même intelligent me semblent revenir à peu près à la même idée.

On peut déceler ainsi une notion de progrès, d’une histoire qui aboutit à l’Homme.

Ces représentations sont résumées dans l’exemple ci-dessous :

L’idée d’évolution est assez présente dans ces représentations et on peut dire qu’elle fait partie du fond culturel des élèves. Seulement les espèces actuelles se confondent avec les ancêtres. Du coup l’Homme descend du singe (du chimpanzé).

• Les caractéristiques principalement évoquées de l’Homme sont son intelligence, son langage, la bipédie.

• La date d’apparition est assez floue mais pas fausse : après les Dinosaures, avec les Mammouths

Il y a d’autres conceptions attachées à l’évolution, que je n’ai pas testées ici, parce que je n’ai pas trouvé de formulation satisfaisante, qui n’oriente pas les élèves, mais dont il faut aussi tenir compte dans un enseignement de l’évolution :

• Il y a une perfection de la nature : qui n’a jamais entendu cette phrase « c’est quand même bien fait la nature » ?

• Il y a un sens, une finalité, un dessein dans cette histoire évolutive (pour tout dire je ne suis pas sûr que les élèves se soient déjà posé une telle question…)

On notera qu’il y a peu ou pas de cas où l’Homme est vraiment en dehors du monde vivant : l’Homme y est plutôt rattaché. Peut-on y voir un effet de l’enseignement de 2nde où l’Homme est inclus parmi les animaux ?

D’où viennent ces représentations ?

2. Les images en dehors des SVT

a. Sur Internet

Dans Google image, j’ai tapé : « évolution Homme ».

La première page de réponses a été la suivante :

L’image qui est en premier et revient le plus souvent, avec ses variantes « comiques », est la suivante :

Quelle image de l’évolution voit-on ?

 Une évolution en ligne, qui donne l’idée d’une succession et d’une transformation progressive

 Un progrès : il y a un redressement de la silhouette qui dessine une courbe ascendante

 Le point de départ est un singe qui marche sur ses phalanges, comme les actuels chimpanzés et gorilles.

b. A la télévision

Regardons deux extraits du documentaire l’odyssée de l’espèce de Jacques Malaterre, diffusé sur France télévisions et orné de cautions scientifiques illustres. Ce documentaire présente toutes les garanties de vérité scientifique.

Ces extraits sont visibles en ligne sur la partie vidéothèque du site de l’odyssée de l’espèce

o Extrait intitulé « Orrorin » :

L’image de l’acquisition de la bipédie nous frappe, soulignée par les mots du commentaire : il a une « intuition » et voilà « il est bipède ».
Nous voici donc avec un caractère acquis sous l’effet de la volonté et de l’usage. Au pays de Lamarck, l’évolution est admise mais Darwin aurait-il toujours du mal à passer ?

Voilà ce qu’a représenté un de mes élèves à la question que j’avais posée

On peut voir une certaine ressemblance avec ce qui est montré dans l’extrait.

o Extrait intitulé « Naissance » :

Là encore les mots choisis sont frappants : « le premier d’entre nous va naître »

Le premier représentant d’une espèce nait à partir d’une autre espèce, en une génération. Il a tous les caractères de la nouvelle espèce, tel Athéna sortant casquée et armée de la tête de Zeus.

Cela n’est pas une vision tout à fait fausse si on se place du côté des tenants de la théorie des « monstres prometteurs » où le jeu des mutations des gènes du développement permet des changements assez soudains et non graduels, cela est moins juste si on se place du point de vue des tenants d’une approche plus populationnelle dans laquelle l’évolution se fait par le changement de fréquence des allèles dans les populations.

La question est de savoir ce que voit le grand public. Lui ne voit qu’une naissance, qui est annoncée non comme celle d’un individu mais comme celle d’une espèce.

Est-ce que cette scène est symbolique ?
Est-ce que de façon implicite le public doit comprendre qu’elle est à l’image de toutes les autres naissances dans ce groupe, que dans toutes les autres naissances ce sera aussi un représentant de la nouvelle espèce ? Serait-ce alors de l’anagenèse, c’est à dire la substitution d’une espèce par une autre qui en dérive, plutôt qu’une cladogenèse, c’est à dire la ramification en plusieurs espèces ?

Mon propos n’est pas de critiquer le louable effort de vulgarisation de ces documentaires mais juste de questionner là encore sur les représentations qui sont transmises. (Yves Coppens s’était expliqué dans l’émission de France 5 Arrêt sur images mais je ne l’ai pas retrouvée en ligne)

Comment "imagine"-t-on l’évolution ? Je ne sais pas comment il faudrait la mettre en image et je ne sais pas ce que j’aurais mis à la place des images critiquées précédemment.

Il y a en effet deux obstacles à une bonne compréhension de l’évolution, liés au fonctionnement de notre cerveau :

  Il aime les séparations franches, comme le montre notre tendance à procéder par dichotomie. Nous avons du mal à nous représenter les phénomènes continus et graduels.

  Nous pensons plus facilement à l’échelle de l’individu et on veut imaginer d’abord l’évolution sur un individu, d’où les représentations dans lesquelles l’individu se transforme au cours du temps dans une vision très lamarckienne. Or l’évolution se conçoit sur une population et sur des générations. (mais au moins dans cet extrait ce n’est pas l’individu qui se transforme, comme dans l’extrait précédent).

On notera que sur la page d’accueil du documentaire sur le site de France Télévisions, on retrouve en haut à droite la même image que celle trouvée sur Google précédemment.

 Loin du monde des documentaires, voici un clip qui date de 1998. C’est un clip de Fatboy Slim, réalisé par le français Michel Gondry.

Ce clip nous montre l’image de l’évolution qu’ont les concepteurs, mais c’est aussi une image qui a été reçue par de nombreux adolescents et il me semble qu’elle est assez symptomatique de la vision qu’a le grand public de l’évolution : des formes de vie se transforment en d’autres formes de vie, jusqu’à l’Homme.

« Depuis la première cellule qui précipita dans la soupe primordiale jusqu’à l’impressionnante sophistication de Homo sapiens, l’évolution de la vie a été - chacun le sait - un long cheminement vers une plus grande complexité. », pour reprendre la phrase de Lori Oliwenstein.

La vision donnée par ce clip me parait d’autant plus significative que c’est une image qui vient du monde non scientifique.

(en ce dimanche 24 février 2008, tandis que je reprend l’adresse de cette vidéo pour rédiger cette partie de l’article, apparaissent dans les commentaires du clip les remarques d’un croyant qui affirme sa foi en Dieu en réaction au clip et les réponses qui y opposent la science : à lire, c’est assez édifiant et rejoint ce qui sera dit plus loin)

3. Des représentations ancrées dans notre culture

Je ne suis pas assez érudit pour prétendre ici retracer toute l’histoire de ces représentations mais juste montrer par quelques exemples piochés au hasard de mes lectures que toutes ces représentations sont présentes depuis très longtemps, dans les fondements de notre culture occidentale.

De fait ces obstacles pédagogiques ont été des obstacles épistémologiques. Il est donc intéressant de se replacer dans cette perspective historique.

L’Homme a quelque chose de plus :

Chez les philosophes antiques, l’Homme a déjà une place à part parce qu’il a quelque chose de plus.

Dans son traité de l’âme, Aristote (385 – 322 av JC) distingue trois types d’âmes (de anima, ce qui anime), qui donnent vie, qui sont attachées au corps (elles sont en cela différente de l’âme telle qu’on la concevra plus tard, détachée du corps).

  L’âme nutritive, présente chez tous les êtres vivants, qui leur donne l’aptitude à s’alimenter, seule présente chez les végétaux.

  L’âme sensitive, présente en plus chez les animaux, qui leur donne l’aptitude de ressentir, grâce à leurs organes des sens.

  L’âme rationnelle, propre à l’Homme, qui lui donne l’aptitude de juger et raisonner.

L’Homme a donc bien un statut à part.

« Mais seul, parmi les animaux, l’Homme est capable de délibérer. Et beaucoup participent à la simple mémoire et à l’instruction, mais aucun, autre que l’Homme, n’est capable de réminiscence » Aristote

Bien plus tard, le dualisme de Descartes (1596-1650) détache l’âme du corps et rejoint la conception religieuse où l’âme vient d’ailleurs et l’Homme est seul à en posséder une. D’ailleurs l’Homme est exclu de la conception mécaniste de Descartes d’êtres vivants machines.

L’Homme au-dessus :

Cette idée est proche de la précédente et la prolonge. L’Homme a quelque chose de plus, il est donc à part, au dessus des autres.

Cela se retrouve dans les religions du Livre, dés la Genèse :

« Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. ».

L’Homme est à l’image de Dieu et domine les autres êtres de la création.

Pour Aristote, l’Homme est le type le plus parfait : il est le seul animal qui se tienne vraiment droit sur ses deux pieds, ce qui rapproche sa tête des sphères divines (Au passage la bipédie est déjà un caractère distinctif et un élément de sa supériorité).

Aristote distinguait, en dépit de la diversité, une continuité du monde vivant : la nature, selon lui, procède “ des objets inanimés, aux plantes et aux animaux en une séquence ininterrompue ”.

Le monde d’Aristote était fixe. La graduation, la hiérarchie des êtres correspond à celle des valeurs.

Cette représentation du vivant va traverser l’Histoire.
On la retrouve aux XVIIème et XVIIIème siècle sous la forme de la scala naturae, ou Grande Chaîne des Etres représentée, à sa base, par des objets inanimés, suivis par les végétaux puis les animaux, pour arriver à l’Homme (voire parfois à des anges à forme humaine), ceci suivant un ordre de complexité croissante.

Elle est développée dans la philosophie de Leibniz (1646 - 1716) et elle s’intègre à la pensée de nombreux naturalistes de ces siècles de découverte de la nature.

Certaines découvertes vont ainsi prendre place dans cette échelle et la valider, en étant vus comme des intermédiaires.
L’Hydre d’eau douce, capable de se régénérer après scission comme une plante que l’on bouture, est ainsi vue comme intermédiaire entre végétaux et animaux. Cette échelle reste néanmoins fixe, reflétant l’ordre divin.

Elle devient échelle descendante de perfection décroissante chez Buffon. Ainsi il écrit dans son Histoire naturelle de l’Homme :

"Parcourant ensuite successivement et par ordre les différents objets qui composent l’Univers, et se mettant à la tête de tous les êtres créés, [l’Homme] verra avec étonnement qu’on peut descendre par degrés presque insensibles, de la créature la plus parfaite jusqu’à la matière la plus informe, de l’animal le plus organisé jusqu’au minéral le plus brut".

En même temps et à contrecoeur, il se voit obligé d’oublier "la distance immense" qui pour lui (entre autres) sépare l’Homme des autres animaux :

" La première vérité qui sort de cet examen sérieux de la nature, est une vérité peut-être humiliante pour l’Homme ; c’est qu’il doit se ranger lui-même dans la classe des animaux, auxquels il ressemble par tout ce qu’il a de matériel".

Buffon postule une timide et limitée transformation des espèces sous la forme d’une dégénération des animaux (1753), cas par exemple de l’âne par rapport au cheval.

« J’appelle espèces nobles, dans la nature, celles qui sont constantes, invariables, et que l’on ne peut soupçonner de s’être dégradées. Ces espèces sont généralement isolées et seules dans leur genre ; elles sont distinguées par des caractères si tranchés, qu’on ne peut les méconnaître, ni les confondre avec aucune des autres. À commencer par l’homme qui est l’être le plus noble de la création, l’espèce en est unique, puisque les hommes de toutes les races, de tous les climats, de toutes les couleurs, peuvent se mêler et produire ensemble... Dans le cheval, l’espèce n’est pas aussi noble que l’individu, parce qu’elle a pour voisine l’espèce de l’âne... Dans le chien, l’espèce est peut-être encore moins noble puisqu’elle paraît tenir de près à celle du loup, du renard et du chacal, qu’on peut regarder comme les branches dégénérées de la même famille. » (Le lion)
Buffon L’Histoire naturelle

Cette position transformiste sera limitée par sa foi en la création.

La place la plus haute revient évidemment à l’Homme chez Buffon :
« Tout marque dans l’Homme, même à l’extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants ; il se tient droit et élevé, son attitude est celle du commandement, sa tête regarde le ciel et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de se dignité. »

On retrouve ici l’importance de la station debout dans le statut de l’Homme, dans sa supériorité, comme chez Aristote.

Lamarck (élève de Buffon) intègre des transformations dans cette chaîne avec un progrès en renversant le sens de lecture, des plus simples aux plus complexes, avec une tendance au perfectionnement. Leur complexité est liée à leur date d’apparition sur Terre. Il introduit donc ici le temps dans la chaîne des êtres. Le dernier arrivé sera donc le plus complexe.

Le sommet de la complexité est l’Homme, avec son intelligence :
« Dans les animaux les plus parfaits, le système nerveux consiste en un cerveau qui paraît servir à l’exécution des actes de l’intelligence »

La chaîne des êtres peut lorsqu’elle est poussée dans ses détails aller jusqu’à une gradation entre les êtres humains, justification pour le colonialisme et l’esclavage. Voici par exemple la chaîne du vivant de Charles White (1799) (D’après Gould : le sourire du Flamant rose)

L’évolution consiste en un progrès.

Darwin a critiqué cette notion de progrès et l’a évitée dans ses ouvrages autant que possible. Mais ses traducteurs français et allemands l’ont faite ressortir.

On la retrouve donc après Darwin, assortie d’une notion de but qui transcende l’évolution : Spencer en Angleterre avec sa force différenciante, inconnue et inconnaissable, Haeckel et sa loi biogénétique fondamentale en Allemagne ou énergie ascendante de Teilhard de Chardin, Bergson avec son élan vital.

Il y aurait ainsi dans le monde vivant une tendance, une loi interne qui pousse vers le sens du progrès. (voir une réflexion sur le sujet dans Le hasard et la nécessité de J. Monod, chap 2 : vitalisme et animisme)

Tout cela mêlé dans le creuset de notre culture commune, peut se traduire dans une lecture rapide de l’évolution par le dernier arrivé est le plus évolué, donc le meilleur, et même selon certains celui qui était prévu depuis le départ.

L’Homme descend du singe.

Cette idée peut s’inscrire dans la continuité des idées précédentes : le singe est le plus proche de nous, c’est la dernière esquisse avant nous. Le singe s’est transformé pour devenir l’Homme.

On a donc une confusion entre la généalogie et ce que nous appellerons la phylogénie.

D’autres conceptions tout aussi anciennes font obstacle à la bonne compréhension de l’évolution

Le finalisme :

Pour Aristote, chaque structure est là pour accomplir une fonction. Elle a été créée pour cela. C’est la recherche de la cause finale, l’une des quatre causes définies par lui (avec la cause matérielle, la cause efficiente et la cause formelle).

« Ce n’est pas le hasard mais la finalité qui règne dans les œuvres de la nature ; or la finalité qui régit la constitution ou la production d’un être est précisément ce qui donne lieu à la beauté »

Ce mode de pensée en se mêlant à l’évolution rejoint la notion de progrès et va à l’encontre de deux concepts attachés à la théorie de l’évolution darwinienne :

 Le hasard

 La contingence

Qui induisent l’absence de finalité et donc de dessein.

Aristote a surpassé en influence des philosophes qui l’ont précédé comme Démocrite pour qui tout n’est que" hasard et nécessité" et donc l’idée de finalité prédomine.

La perfection de la nature :

Pour Aristote donc, chaque organe est là pour remplir une fonction. C’est la fonction qui a présidé à la création de l’organe. La nature ne fait rien en vain et agit toujours pour le meilleur.

Cette conception procède d’un émerveillement devant la nature, qui est assez courant, et qui nourrit l’idée d’un but.
Les biologistes les plus séduits par le finalisme sont d’ailleurs ceux qui étudient les fonctions complexes comme la biochimie ou l’embryologie.

L’essentialisme :

Cette conception qui nous vient de Platon a dominé la pensée occidentale du Moyen Age jusqu’au XIXème siècle et elle reste sans doute présente dans notre mode de pensée.

Dans cette conception, tous les membres d’une même espèce partagent la même essence, qui est invariable. Cette essence correspond au type moyen de l’espèce, un archétype.

Les variations ne sont que des accidents sans importance et donc sans intérêt. Certains contradicteurs de Darwin ont ainsi adhéré à l’idée d’évolution mais n’ont bien voulu reconnaître à la sélection naturelle qu’un rôle stabilisant : les variants qui s’écartent le plus du type moyen sont éliminés et ainsi le type se maintient.

Dans la pensée évolutionniste, on s’attache davantage aux variations et à la population. C’est donc un changement de point de vue important.

II. L’enseignement de l’évolution de la lignée humaine

1. Les textes officiels

 Le nouveau programme de 3ème : voir le BO à la page 101.
(les documents d’accompagnement ne sont pas encore parus à ma connaissance).

C’est un enseignement qui veut dépasser le cadre strictement scientifique pour avoir une dimension culturelle.

La partie évolution est préparée par un chapitre « unité de l’espèce et diversité des êtres humains », prétexte à la génétique mais dont le titre est intéressant en mettant l’accent sur les notions d’unité et de diversité.

Les exemples d’activités proposés sont les suivants :

C’est donc un enseignement sur l’évolution dans lequel l’Homme est placé mais sans développement sur l’évolution dans la lignée humaine elle même.

Au lycée, la place de l’Homme rattaché au monde vivant est dans le programme actuel de 2nde.

 Les programmes de 1ère L et ES : BO 1ère L et 1ère ES

L’enseignement de 1ères L et ES se veut un enseignement culturel. La vision est différente de celui du nouveau programme de 3ème : l’évolution est enseignée dans le cadre de l’histoire de l’Homme. On a donc ici un chapitre très centré sur l’Homme.

 Les programmes de 1ère L et ES : BO

En Terminale S, il y a une partie Phylogénie puis est décrite la lignée humaine. Il y a ensuite les mécanismes génétiques (méiose, fécondation) puis seulement viennent les mécanismes de l’évolution.
L’Homme est cité en exemple pour montrer l’importance des mutations pouvant affecter le développement embryonnaire. Mais il y a une coupure entre la partie évolution et la partie lignée humaine.

2. Un exemple de programmation

Le programme prévoit 3 semaines pour la partie phylogénie et lignée humaine.

Exemple de progression

Semaine 1 Semaine 2 Semaine 3
Explication du principe des arbres phylogénétiques et découverte de Phylogène - réflexion au niveau des caractères et des molécules Réexploitation de Phylogène pour positionner l’homme au sein du monde vivant - détermination des caractères propres à la lignée humaine par comparaison avec le chimpanzé La lignée humaine et l’origine de l’homme moderne

(Pour la dernière semaine, on pourra utiliser le logiciel Homininés)

Tel qu’il est construit, cet enseignement remet en cause :

 La place de l’Homme en dehors du vivant : dans le prolongement de la 2nde, la phylogénie ancre l’Homme dans le vivant et le rapproche des autres Primates

 La vision linéaire de l’évolution, avec l’insistance sur le caractère buissonnant.

3. L’entretien des représentations initiales ?

a. Le contenu

 Ces chapitres sont très anthropocentrés : on place l’Homme par rapport aux autres. Or dans la phylogénie on utilise les caractères dérivés.
Dans le programme, "Seul le partage d’états dérivés des caractères témoigne d’une étroite parenté.
Ces relations de parenté contribuent à construire des arbres phylogénétiques."

L’Homme, seul sujet de cette étude, se retrouve être celui qui a tous les caractères dérivés, c’est-à-dire « le plus évolué ».
Dans les arbres présentés, l’Homme est souvent celui qui est bout de la branche de laquelle divergent les autres. Cela entretient donc cette vision de l’Homme le plus évolué, l’aboutissement.

(Hatier TS)

 De façon générale, au-delà du cours spécifique sur l’évolution et l’Homme, les programmes décrivent des mécanismes complexes et parfaitement réglés : régulations hormonales, immunologie, mitose, méiose, synthèse des protéines...

Sorti du contexte de l’évolution, cela entretient une vision de la nature où chaque chose est à sa place et accomplit parfaitement sa fonction. On pousse ainsi vers le finalisme et donc le dessein intelligent.

b. Les illustrations des manuels.

 Dans les chapitres sur l’évolution et sur l’Homme :

Les arbres :

Dans les manuels, il y a sans doute eu pour ces chapitres une réflexion sur le sujet et les illustrations, en particulier les arbres, car l’Homme n’est pas systématiquement au bout.

On notera en particulier le Hatier dans lequel ils ont pensé à préciser qu’il y a eu des innovations aussi dans les autres lignées, ce qui me paraît important.

à lire sur le site de l’INRP : Introduction du concept d’évolution humaine buissonnante dans les manuels scolaires de sciences de la vie et de la Terre de terminale scientifique

La capacité crânienne :

Dans le programme, on donne parmi les critères de la lignée humaine le "développement du volume crânien". Mais comment représenter ce développement ?

Le graphique ci-dessous en est un premier exemple.

(TS Bordas)

Faut-il relier les points ?
En mathématiques, relier les points à un sens. Lorsque l’on fait des mesures et qu’on les reporte dans un graphique en les reliant, on extrapole. On fait l’hypothèse du résultat que donnerait une mesure faite entre deux points, ce qui ne peut se faire que s’il y a une continuité, pour laquelle on pourrait trouver une fonction mathématique, avec une orientation des données, c’est-à-dire une tendance.

(Par exemple dans le programme de 2nde sur la planète Terre dans le système solaire : peut-on relier les points qui correspondent aux différentes planètes dans le graphique température de surface en fonction de la distance au Soleil ? Non car on ne peut pas affirmer qu’un corps entre la Terre et Mars aurait une température de surface entre celle de la Terre et celle de Mars. La preuve en est Vénus qui n’a pas une température de surface entre celle de Mercure et celle de la Terre. Il y a plusieurs paramètres et cela ne correspond pas une fonction mathématique. Par contre on peut relier les points sur le graphe énergie lumineuse reçue en fonction de la distance au Soleil car cela correspond à une fonction mathématique et permet de faire des prévisions)

Peut-on donc relier les points entre les capacités crâniennes ? Cela suppose d’abord de ne choisir comme données que ceux qui s’inscrivent dans une même généalogie, pour que cela ait un sens de représenter le volume crânien en fonction du temps. On se situerait donc dans une vision linéaire dans laquelle on oublie les branches voisines du buisson.

Si on relie les points, c’est que l’on postule qu’une future découverte d’un nouveau représentant de la lignée humaine qui dans le temps (je suppose que les abscisses ici représentent une idée du temps) se situerait par exemple entre un habilis et un erectus aurait une capacité crânienne que l’on pourrait prévoir, entre celle d’habilis et celle d’erectus.

Pour l’élève, relier les points me semble surtout inscrire visuellement un progrès, ce qui vient conforter leur représentation.

J’en veux pour preuve ce graphique trouvé sur internet qui est tiré d’une exposition réalisée par le Muséum et l’Ecole d’art d’Aix-en-Provence.
« Cette exposition résultat d’échanges entre art et science, balaye un vaste champ d’investigation, depuis l’anatomie et la neurophysiologie, jusqu’aux processus cognitifs conduisant à une démarche artistique. Images, maquettes, objets, créations artistiques et manipulations permettront d’appréhender et de comprendre les étapes fondamentales qui ont conduit, après des périodes d’incertitudes et de recherches aux savoirs d’aujourd’hui. »

On peut remarquer que Néandertal se trouve placé sous l’Homme actuel. Or on sait que Néandertal pouvait avoir un cerveau plus volumineux que le nôtre. Cette version me paraît assez révélatrice du sens que peut avoir ce graphique. On retrouve ici l’Homme en haut, forcément, et un cerveau forcément de plus en plus volumineux au fil du temps, quitte à opérer, peut-être inconsciemment, ce qui serait encore plus révélateur, un choix judicieux parmi la gamme de capacités cérébrales de Néandertal.

Un graphique du type ci-dessous, pris lui aussi dans l’édition Bordas, me paraît donc préférable, car tout en étant plus juste en rapportant la capacité crânienne au poids moyen du corps, il montre une caractéristique de l’Homme par rapport à ses cousins grands singes sans montrer de façon évidente un progrès.

Je n’ai par contre pas retrouvé dans les manuels récents de document aussi discutable que le suivant, pris dans le Bordas Terminale S édition 1994 :

Que voulait montrer ce graphique ?
Il relie des espèces sur des lignées différentes. L’important est sans doute qu’il est ascendant. Il représente donc une complexité croissante et correspond en plus à un trait que l’on peut rattacher au cerveau. L’Homme est ainsi le plus complexe, par son cerveau, et le dernier arrivé.

De plus comment évalue-t-on la complexité du comportement des Poissons cuirassés ?

(Après la rédaction de cet article, j’ai retrouvé - à ma grande stupeur - presque ce même graphique dans le livre l’Evolution, rédigé sous la direction d’Hervé Le Guyader, dans la Bibliothèque Pour la science. Dans son article Contingence et nécessité dans l’histoire de la vie, Louis de Bonis dit que le comportement est évalué par principe d’actualisme, en se référant aux espèces actuelles les plus proches des fossiles.)

Il faut donc souligner ici l’attention portée par les concepteurs des manuels, qui témoigne à mon sens du fait que notre vision de l’évolution a changé, que notre compréhension n’est pas la même que celle que nous avions il y a 15 ans.

 Dans les autres chapitres :

Dans la partie précédente du programme de TS sur le temps en géologie, les manuels ont été moins vigilants : l’Homme est le dernier arrivé, par exemple ci-dessous dans le Bordas.

Ce qui rejoint là-aussi une représentation erronée, qui conduit à l’idée d’aboutissement. Il pourrait être intéressant de préciser que l’Homme n’est pas la seule espèce apparue au Quaternaire.

c. Les mots de l’enseignant.

Il faut être prudent dans la façon dont nous nous exprimons dans ce chapitre mais aussi dans tous les autres.

 dans le chapitre évolution, il est évident que le mot « primitif » pose problème, mais c’est aussi vrai du mot « évolué ».

La description d’un arbre phylogénique est aussi très piégeuse : une espèce est-elle en haut, en bout ?
Il ne faut pas ici commettre l’erreur que les manuels ont su éviter : utiliser uniquement des arbres dans lesquels l’Homme est au bout, en haut, à droite.

Dans le titre même : peut-on par exemple parler de l’évolution de l’Homme ?
Cela semble signifier que l’Homme était déjà en germe dans les autres représentants de la lignée humaine, qu’ils sont des Hommes en devenir. Le mot même de « Lignée » introduire finalement une fausse idée, avec l’idée de ligne.

 De façon plus générale dans tous les chapitres il faut aussi se méfier des formulations finalistes : tel organe est fait pour…, ce qui est un défaut très répandu.
Il ne faut pas être vigilant que dans le chapitre évolution.

Ce sont autant de mots et de formules qui peuvent nous échapper, en particulier lorsque nous sommes pressés, et qui peuvent conforter de fausses représentations.

Je ne peux hélas pas présenter une liste complète des expressions et formules à éviter : elle serait trop longue. Il me semble que ce n’est qu’en ayant une bonne compréhension de l’évolution, en l’intégrant profondément à notre conception du monde vivant, que nous pourrons trouver les mots appropriés.

III. Interroger les représentations initiales pour les remettre en cause.

Les exemples donnés ci-dessous ne sont que… des exemples, faits plus pour donner des pistes de réflexions que pour être utilisés tels quels. Il y a bien d’autres exemples à prendre et de documents à construire.

a. L’Homme est le plus évolué/le plus complexe.

Et si pour une fois on travaillait sur un exemple où l’Homme est présent mais n’a pas tous les caractères dérivés ? C’est à dessein que j’ai choisi des caractères qui font partie de ce qui est notre image, pour ne pas dire nous symbolise.

 Un exemple est la main, notre outil merveilleux, celui qui nous a permis la construction des autres outils qui la prolongent.

Je suis parti ici d’un exercice pris dans le manuel Didier de TS. J’ai juste remplacé le Chat par l’Homme. .

Par rapport à d’autres lignées où la réduction du nombre de doigts est caractère dérivé, le fait pour l’Homme d’avoir gardé 5 doigts correspondant à l’état ancestral.(comme il a été remarqué lors de l’atelier, il faudrait donner un autre organisme qui indiquerait que le type 5 est ancestral)

 Plus près du programme, dire que la bipédie, autre caractère ô combien important (revoir plus haut les mots d’Aristote, de Buffon), est peut-être ancestrale alors que le knuckle walking des grands singes est dérivé peut aussi renverser les représentations.

On pourra donner par exemple un extrait de l’article la bipédie est-elle spécifique à l’Homme ? de P. Picq dans le dossier Pour La Science Sur la trace de nos ancêtres :

" La seconde [hypothèse] prend en compte des études de systématique moléculaire et d’anatomie comparée qui privilégient un regroupement des chimpanzés et des gorilles et un isolement de la lignée humaine. Dans ce modèle, le knuckle walking est un caractère dérivé du groupe gorille-chimpanzé, tandis que la bipédie reste ancestrale.
[…] Les plus anciens fossiles rapportés aux origines de la lignée humaine sont Sahelanthropus tchadensis (6 à 7 millions d’années), Orrorin tugenensis (6 millions d’années) et Ardipithecus kadabba (5 à 6 millions d’années). La bipédie est avérée pour Orrorin et à confirmer pour les deux autres. Comme leurs environnements étaient arboricoles, leurs aptitudes à marcher debout ne résultent pas d’une adaptation à la savane.
On a en outre constaté qu’Orrorin, à l’instar de l’Australopithecus anamensis (4 millions d’années), aurait eu une bipédie plus évoluée qu’Australopithecus afarensis (4 à 2 millions d’anflées) et Australopithecus africanus (3,5 à 2,5 millions d’années) pourtant plus récents. Le schéma gradualiste selon lequel plus les espèces sont récentes, plus leur bipédie est évoluée semble erroné. Chez tous ces fossiles apparaissent des caractères associés à la bipédie, alors qu’aucun ne présente d’éléments liés au knuckle walking. On a même retrouve des aptitudes à la bipédie chez des grands singes fossiles européens, les dryopithèques (14 millions d’années) et les oréopithèques (7 millions d’années) d’Europe. La bipédie semble donc appartenir au répertoire locomoteur des hominides, voire d’une partie des hominoïdes, tandis que le knuckle walking serait un caractère dérivé de certains grands singes africains actuels."

b. L’Homme a le plus gros cerveau.

Sur le graphique évoqué plus haut concernant le volume crânien,

ajouter Néandertal remet aussi en cause les représentations, car voir qu’une autre espèce a eu un cerveau plus volumineux que le notre tout en étant pas plus récente contredit l’idée d’un progrès et d’un cerveau de plus en plus gros au fil du temps.

Cela peut être fait après avoir dégagé la notion de volume cérébral important par rapport au poids du corps, caractéristique de la lignée humaine, afin de bien le souligner.

On pourra glisser ici aussi que le volume du cerveau n’est d’ailleurs pas directement un signe d’intelligence. Pour preuve les femmes ont un plus petit cerveau que les hommes.

c. L’Homme est le plus intelligent.

 Ces vidéos sont des résultats d’une étude publiée mardi 4 décembre 2007 dans la revue Current Biology, qui testait de la mémoire photographique de jeunes chimpanzés et d’êtres humains. On s’aperçoit que les chimpanzés s’en tirent beaucoup plus facilement que les étudiants.

Il semblerait que le cerveau humain est ici moins efficace dans ce test car il analyse plus les données. C’est donc sa complexité qui limite sa réussite en quelque sorte.

Il y a donc là de quoi frapper les esprits et réhabiliter un peu nos plus proches parents.

 Dans le même ordre d’idée, toutes les données sur les cultures des Chimpanzés pourront être utiles : on trouvera des données là encore dans le dossier Pour la Science Sur la trace de nos ancêtres avec les articles La culture des Chimpanzés ou La pharmacopée des Chimpanzés qui pourront frapper l’imagination des élèves et les amener à se poser des questions.

Il y avait ainsi un pavillon sur ce thème lors de l’exposition Bêtes et Hommes à la Cité des Sciences et de l’industrie de la Villette en septembre 2007. Il y était question par exemple de l’utilisation des plantes par les Chimpanzés pour se soigner, et les visiteurs s’extasiaient sur les capacités des Chimpanzés et leur étonnement montrait qu’ils n’avaient pas imaginé qu’ils (les Chimpanzés) puissent être aussi « intelligents », surtout d’une façon si proche de la nôtre. Cela vient mettre en perspective notre propre intelligence et certaines caractéristiques que l’on imagine à tort propres à l’Homme.

Remettre en cause cette vision de l’intelligence humaine au-dessus de tout passe donc par la remise en cause de son unicité : elle est unique certes dans sa dimension mais pas dans sa nature, comme le montrent les Chimpanzés.
A voir aussi (long !) : un documentaire sur Koko, gorille ayant appris le langage des signes.

De plus il y a plusieurs sortes d’intelligence et notre cerveau peut-être surpassé par d’autres cerveaux dans certaines activités.

 Toujours dans le même ordre d’idée, ces vidéos sur la fabrication d’outils lithiques montrent qu’il s’agit là d’une activité complexe. Pour le biface en particulier, il faut une connaissance intime de la matière pour voir où frapper, et prévoir plusieurs coups à l’avance, un peu comme aux échecs. Il faut plusieurs semaines pour apprendre à faire cela.
Cela pourra remettre en perspective notre propre intelligence en changeant l’image qu’ont les élèves des autres représentants de la lignée humaine, pas aussi brutes et frustres que leur aspect encore très simiesque peut le laisser penser (quand on voit les singes comme des brutes, ce qui s’inscrit dans la conception de l’échelle des êtres où les singes sont au-dessous de nous).

Je crois que l’image que nous avons de notre propre intelligence et de notre cerveau reflète en grande partie notre environnement technologique et nous nous voyons comme si chacun d’entre nous, grâce à son cerveau, pouvait réinventer l’ordinateur tout seul. Or toute notre technologie et notre science n’est pas le fruit d’un seul cerveau mais une construction progressive à partir d’un savoir accumulé au fil du temps. C’est une évolution en complexité qui suit une mécanique lamarckienne, avec une transmission de l’acquis de génération en génération. Le langage et le temps sont au moins aussi importants ici que les capacités de notre seul cerveau.
Pour preuve, combien d’entre nous, en dépit de leur cerveau, sauraient trouver les plantes pour se soigner comme le font les Chimpanzés ? Nous pourrions tous le faire... si on nous apprend, comme les Chimpanzés.

Notre cerveau est un organe extraordinaire. Mais il ne faut pas confondre ses capacités avec le produits de l’activité de milliers de cerveaux travaillant sur des siècles et des siècles, chacun repartant des avancées de ses prédécesseurs. Mettre notre cerveau sur un tel piédestal, le glorifier pour nous glorifier nous-mêmes, contribue à déformer la vision que l’on peut avoir du monde vivant et de notre place dans ce monde.

d. L’Homme est le couronnement du monde vivant et la voie vers l’Homme est la voie royale :

Réfléchissons à la notion de réussite. Si nous sommes le sommet, les plus évolués et les plus complexes, nous devons réussir le mieux.
Nous quantifierons cette réussite de deux manières : par la diversité et par la longévité.

 Tiré là encore du dossier PLS Sur la trace de nos ancêtres, dans un article de David Begun La planète des singes du Miocène :

" Aujourd’hui, les grands singes, c’est-à-dire les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans, ainsi nommés en raison de leur grande taille, sont peu nombreux. Avec d’autres singes plus petits - les gibbons et les siamangs - et l’homme, ils appartiennent au groupe des hominoïdes. En revanche, au Miocène, il y a 22 à 5,5 millions d’années, les grands singes régnaient sur le monde des primates : une centaine d’espèces peuplait l’Ancien Monde (de la France à la Chine, et
du Kenya à la Namibie). De cette diversité a émergé le nombre relativement faible des espèces modernes
."

 Du buisson suivant, pris dans manuel TS Hatier

j’ai tiré le graphique ci-dessous :

 Et enfin ces graphiques construits avec les données de la Classification phylogénétique du vivant (Lecointre/Leguyader) :

Toutes ces données montrent que quel que soit le niveau considéré (famille, classe...), nous ne sommes pas dans le groupe le plus florissant : parmi les Mammifères, les Rongeurs et les Chiroptères sont plus divers que nous ; parmi les Primates Catarrhiniens, les Cercopithécoïdes nous ont doublé depuis le Miocène en terme de diversité. Nous ne sommes que la dernière brindille d’une branche qui se réduit.
Nous sommes certes très nombreux et en cela nous réussissons mais notre genre s’est réduit à une seule espèce. (dans un contexte évolutif, cette faible diversité est d’ailleurs inquiétante puisque c’est dans la diversité que le genre peut survivre à un changement majeur de l’environnement).

Ces graphiques montrent que les autres voies du buisson ne sont pas des voies sans issues. Il ne faut pas en effet que la chaine des êtres serpente dans le buisson, que les branches qui divergent de la nôtre soient vues comme accessoires, comme des essais non transformés.

Il faut se méfier de cet anthropocentrisme qui nous associe le succès et qui nous ramène vers une vision d’une évolution menant à l’Homme qui en serait le sommet.
Ainsi pour Thomas Huxley (1825 - 1895), ami de Darwin et ardent défenseur de l’évolution (surnommé le bouledogue de Darwin), "Ils (les Téléostéens = Poissons Osseux) me semblent s’être écartés de la grand-route de l’évolution - représenter, pour ainsi dire, des voies secondaires divergeant en certains points de cette grand-route. »

(manuel TS - Bordas)

Or comme le rappelle S. J. Gould dans l’éventail du vivant lorsqu’il cite ces mots de Huxley, "de tous les vertébrés, les téléostéens sont ceux qui ont mieux réussi. Pratiquement 50 % de toutes les espèces vertébrée sont des téléostéens. Ils peuplent les océans, les lacs et les rivières du monde entier, et comptent près de cent fois plus d’espèces que les primates (et environ cinq fois plus que tous les mammifères réunis)."

Dans ce qui suit je m’éloigne du sujet de la lignée humaine avec les exemples pris. Je reconnais que les exemples ne sont pas tous directement utilisables en classe mais j’essaie juste ici de donner quelques pistes pour remettre en causes quelques autres représentations, dans le cas où elles surgiraient dans les questions d’élèves.

e. Plus complexe ou plus évolué = le plus apte :

 On observe en ces temps de réduction drastique de la biodiversité que les premières espèces à disparaître sont les plus spécialisées, c’est-à-dire celles qui sont les plus inféodées à un environnement donné. C’est le cas dans de nombreux couples insecte/plante, résultant d’une longue coévolution, dans lesquels la disparition de l’un entraîne la disparition de l’autre.
Les Papillons sont ainsi plus menacés que les Blattes.

Les êtres ayant gardé des caractères ancestraux peuvent être plus polyvalents et donc plus aptes à résister au changement.

Des exemples choisis permettront donc de relativiser la chance que nous aurions d’être « les plus évolués » (bien que ce soit une idée que nous devons aussi remettre en cause).

 Il ne semble d’ailleurs pas y avoir de relation entre complexité et réussite.
C’est ce que montre S. J. Gould dans l’éventail du vivant, avec un exemple hélas peut-être pas simple à réutiliser en classe, portant sur les Ammonites et leur suture.
Le graphique ci-dessous est issu de ce passage. Il représente la longévité, exprimée verticalement en millions d’années, des ammonoïdes en fonction de la dimension fractale de la suture (portée sur l’axe horizontal).

Il ne montre aucune corrélation entre la complexité et une réussite évolutive mesurée par la longévité.

f. Plus complexe = plus évolué :

Le cas de parasites, chez lesquels l’évolution s’est traduite par une simplification, illustre que cette idée d’une évolution qui est un gain en complexité est fausse.

g. La nature est parfaite :

 Un exemple classique de la complexité de la nature est l’œil, classique aussi pour nier le rôle du « hasard ».

Un schéma de coupe de rétine montre que notre œil n’est pourtant pas parfait : on peut s’étonner que les cellules photo réceptrices ne soient pas directement du côté où arrive la lumière mais que celle-ci doive traverser toute une épaisseur de cellules nerveuses pour y arriver (hormis au niveau de la fovea).

(schéma de CT de rétine, pris sur la schémathèque de l’académie de Dijon)

Si notre oeil était un appareil photo, les fils seraient entre l’objectif et la pellicule ! (D’autres yeux ne sont d’ailleurs pas construits comme cela).

 Notre appendice est un autre exemple d’ »imperfection ». Non seulement il n’a pas une grande fonction (une réserve de bactéries ?) mais en plus il peut provoquer la mort de l’individu en cas d’appendicite.

Ces exemples vont à l’encontre de l’image d’une nature parfaite, où tout est pour le mieux, où chaque chose à sa place et joue le rôle qui lui a été assigné, comme dans la vision de Leibniz, modèle du Pangloss de Voltaire mais aussi comme dans la vision d’Aristote qui le conduit à la recherche de la cause finale.

Comme aimait à la rappeler S. J. Gould, ces « imperfections » sont une mine pour les évolutionnistes car l’évolution se lit beaucoup dans ces petits défauts. C’est le cas de notre appendice, héritage ancien.

IV. Créationnisme et dessein intelligent : que répondre aux élèves ?

 L’évolution va à l’évidence à l’encontre d’une lecture littérale de la Bible ou du Coran, qui décrit un monde fixe créé par Dieu, vision créationniste.

Les sites indiqués ci-dessous m’ont servi à voir ce qu’est l’argumentaire créationniste. J’ai voulu indiquer les liens pour que chaque enseignant puisse se rendre compte de ce qui est dit et se préparer à y répondre.

Le site Le mensonge de l’évolution.com est basé sur les travaux de Harun Yahya, le même qui nous a "offert" l’Atlas de la création.

Voyons la page La création est un fait.
Nous avons ici un premier type d’argument, sur une accumulation d’exemples : pour les créationnistes, tout est trop bien fait pour être apparu par hasard : ils sont dans ce mythe de la perfection de la nature, ce qui appelle forcément un créateur, nommé designer pour les tenants du dessein intelligent.
Ici la nature et son étude servent à apporter la preuve matérielle de l’existence de Dieu, comme ce put être le cas au XVIIIème siècle.(à lire)

(On notera que pour les abeilles par exemple, Darwin lui même a identifié des stades intermédiaires : cf l’origine des espèces : chap VII Instinct ; on connait aussi des intermédiaires pour l’œil).

Cela a pu aller au siècle de Lumières jusqu’à un finalisme particulier où toute la nature a été créée pour servir l’Homme, comme Bernardin de Saint Pierre (1737 - 1814) affirmant que le melon est divisé en segments pour être plus aisément découpé.

Ce mode de pensée est-il dépassé ?
Une phrase prise dans les commentaires du clip de fatboy slim sur Youtube : "me on relgion yes i believe in god next time you pick a pineapple pear apple up seems to fit into the hand."

Le scénario proposé par les évolutionnistes est pour les créationnistes impossible :

« La théorie de l’évolution affirme que la vie est apparue de manière aléatoire. Selon cette revendication, des atomes sans vie et sans conscience se sont réunis pour former la cellule puis ils ont formé par la suite, d’une certaine manière, d’autres organismes vivants, y compris l’homme. Réfléchissons-y alors. Lorsque l’on rassemble les éléments qui entrent dans la composition de la vie tels que le carbone, l’oxygène, le phosphore, la nitrogène et le potassium, nous n’obtenons qu’un monceau de matières. Quel que soit le traitement qui en est fait, ce tas d’atomes ne peut pas donner naissance au moindre être vivant. »
Voir la phrase dans son contexte.

 Quelle est leur vision de l’évolution dans la lignée humaine, ce qu’ils veulent contredire ? Je prendrai des exemples sur le même site, à cette page

« Les évolutionnistes ont rédigé le scénario de l’évolution humaine en arrangeant dans l’ordre croissant, du plus petit au plus grand, quelques crânes adaptés à leur objectif. »

On retrouve ici l’accroissement "linéaire" du cerveau au fil du temps.

Un titre est "l’arbre généalogique imaginaire (sic) de l’Homme"
et dans cette partie :

« En établissant la chaîne de relation sous cette forme "Australopithèques> Homo Habilis> Homo Erectus> Homo Sapiens", les évolutionnistes sous-entendent que chacune de ces espèces est l’ancêtre de l’autre. »

Nous avons ici une vision de l’évolution en une chaîne, et non buissonnante. Les espèces se succèdent et ne peuvent donc pas coexister :

« Toutefois, les récentes découvertes effectuées par les paléoanthropologues ont révélé que l’Australopithèque, l’Homo Habilis, l’Homo Erectus existaient dans différentes parties du monde à la même époque. De plus, une certaine partie des humains classifiés en tant que Homo Erectus ont vécu jusqu’à une période proche des temps modernes. L’Homo Sapiens Néandertalien et l’Homo Sapiens (l’homme moderne) ont existé côte à côte dans la même région. Cette situation indique l’infondé des allégations évolutionnistes, en l’occurrence que les uns sont les ancêtres des autres. »

Cette vision induit aussi la recherche des "formes transitionnelles".

" Pendant ce prétendu processus évolutif, qui aurait débuté 4 à 5 millions d’années auparavant, des "formes transitionnelles" auraient existé ; elles constituent la transition entre l’homme moderne et ses ancêtres."

« Le Neandertal est connu pour sa robustesse tout en étant de petite taille. Il n’en demeure pas moins que le propriétaire de ce crâne devait mesurer 1,80 de taille. Sa capacité crânienne est le plus grande jamais découverte : 1740 cm3. Pour toutes ces raisons, ce fossile figure parmi les preuves principales qui réfutent la thèse que le Neandertal était une espèce primitive. »

Néandertal ne peut être « primitif », c’est-à-dire moins évolué que nous, puisqu’il est grand et a un gros cerveau. L’évolution est donc bien vue ici comme un progrès.

Ce n’est pas ainsi que les créationnistes voient l’évolution de la lignée humaine puisqu’ils la nient. C’est la vision qu’ils veulent faire passer pour celle des scientifiques.
On s’aperçoit que c’est un formidable recueil des représentations initiales identifiées au début de cet article.

Ils s’appuient (volontairement j’imagine) sur ces représentations largement répandues et les réfutent, sur la base de données réelles, pour convaincre que l’évolution n’existe pas : ils invalident une vision fausse ou dépassée de l’évolution pour réfuter l’évolution elle-même.

En travaillant à travers le questionnement de ces représentations, comme vu plus haut, et donc en donnant une vision plus juste de l’évolution, on désamorce donc leur argumentaire.

Ils jouent aussi sur le point sensible de la parenté entre l’Homme et le singe :

« Toutefois, toutes les découvertes paléontologiques, anatomiques et biologiques ont démontré que cette prétendue évolution n’est que fiction comme toutes les autres. Aucune preuve irréfutable n’a été présentée pour prouver qu’il existe une relation entre l’homme et le singe, exception faite des contrefaçons, distorsions, dessins et commentaires trompeurs. »

Ici il y a un refus de rapprocher l’Homme du singe. (Cela a pourtant été fait par des hommes très croyants tels que Linné ou Buffon). L’Homme ici doit être à part, complètement.

Plus généralement , en parcourant ce site, je serais tenté de regrouper le arguments créationnistes en trois types :

 Ceux qui révèlent une ignorance de ce qu’est la science : ce sont les critiques du type ce n’est qu’une théorie, c’est faux puisqu’ils (les évolutionnistes) changent d’avis tout le temps et ne sont pas d’accord entre eux, il y a des éléments qu’ils ne peuvent expliquer…

Cela se retrouve à mon sens dans le fait qu’ils cherchent très souvent à remettre en cause ce qu’a écrit Darwin plutôt que la théorie actuelle. C’est comme s’ils assimilaient (ou voulaient assimiler) le fonctionnement de la science à celui d’une religion, qui part d’une révélation initiale, d’un écrit fondateur, que l’on peut interpréter mais pas remettre en cause fondamentalement.

 Ceux qui relèvent au mieux de l’ignorance des données actuelles, au pire de la manipulation voire du mensonge : les mutations sont nuisibles, tel fossile est similaire à telle espèce actuelle… L’Atlas de la création regorge de ce type de manipulations.

Ils peuvent même produire des preuves assez fallacieuses : voir par exemple cette page avec une photo des Trace de pas de la rivière Paluxy, sur laquelle on voit des empreintes supposées humaines (empreintes de Dinosaures selon les paléontologues) à côté d’empreintes de dinosaures. (voir sur la même page les photos des géants fossiles que les paléontologues nous cachent !).

 Ceux qui mettent en accusation les évolutionnistes, les accusant de mensonge (c’est-à-dire qu’ils accusent les scientifiques de faire ce qu’eux-mêmes font) et les présentant comme un groupe d’athées voulant aller contre la religion. Ils cherchent à construire une opposition entre guerre et religion.

Plus difficile est le cas des tenants du dessein intelligent .

Ils se placent sur un plan scientifique et sont plus difficilement décelables. Il y a parmi les têtes pensantes des universitaires reconnus (pas toujours biologistes d’ailleurs et souvent parmi eux les plus mécanistes, tels que des biochimistes).

Pour mémoire, ils ne nient pas l’évolution mais pour eux eux, la complexité du vivant, sa diversité, l’évolution même requiert l’existence d’une intelligence supérieure. La diversité et la complexité du vivant ne sauraient s’expliquer par une évolution inintelligente (Exemple de l’œil, de toute la machinerie cellulaire…).

Ils s’inscrivent dans la ligne de Spencer en Angleterre avec sa force différenciante, Haeckel et sa loi biogénétique fondamentale en Allemagne ou énergie ascendante de Teilhard de Chardin, Bergson avec son élan vital.

Sont-ils tous des créationnistes déguisés ? Peut-être pas mais ils sont soutenus, certains diront récupérés, par les mouvements créationnistes qui voient Dieu dans cette intelligence.

Une tête de pont en France est L’Université Interdisciplinaire de Paris : voir un article signé G. Lecointre pour plus d’informations.

On peut ainsi trouver sur le net des documents dont on peut se demander quel effet ils peuvent produire sur des élèves qui, on le sait, ne brillent pas toujours par leur esprit critique quand l’information passe par un écran.

Voici un site qui s’appelle... Sapiens, dont le logo, qui nous rappellera quelque chose, est le suivant :

Et sur ce site, un éditorial (le n°35) écrit par Jean Staune, éminence de l’UIP qui porte sur les travaux d’Anne Dambricourt Mallassé sur l’inflexion du sphénoïde, objet du documentaire Homo sapiens diffusé sur Arte.

Le titre en est Analyse d’un exemple d’obscurantisme scientifique dans le débat sur la nature de l’évolution.

On notera que les scientifiques sont taxés de dogmatisme et que les tenants du dessein intelligent se présentent comme les victimes de calomnie et de censure, de l’obscurantisme.

Mais le fond des idées défendues par jean Staune vient vite :
" C’est le signe de l’existence d’un phénomène qui ne doit rien au hasard des explications darwiniennes classiques. En effet, on peut observer un processus, qui, pendant 60 millions d’années et quelles que soient les innombrables modifications de l’environnement que traversent les espèces qui le portent, se répète comme induit par un déterminisme interne.
[...] Comment ne pas penser, devant ce que nous montre cette étude des fossiles, que nous pouvons bien être en face d’un phénomène possédant une logique interne et échappant à la contingence dont on voudrait faire la maîtresse du champ de l’évolution biologique ?
"

On retrouve ici ce refus de la contingence pointé par jacques Monod
« nous nous voulons nécessaires, inévitables, ordonnés de tout temps. Toutes les religions, presque toutes les philosophies, une partie même de la science, témoignent de l’inlassable, héroïque effort de l’humanité niant désespérément sa propre contingence », le hasard étant remplacé par une loi interne qui pousse vers plus de progrès, qui dirige et oriente l’évolution.

On a évidemment le droit de penser qu’il y a un dessein mais ce n’est pas de la science, c’est de la métaphysique.
Il faut rappeler ce qu’est la science : elle étudie la nature et cherche des explications les plus simples dans le cadre de la nature. Elle recherche des causes naturelles à des phénomènes naturels. Ce qui est au dessus de la nature n’est pas dans la science.

Ainsi après la parution de L’exposition du système du monde, à Napoléon qui lui disait :
"- Votre travail est excellent mais il n’y a pas de trace de Dieu dans votre ouvrage",
Laplace aurait répondu :
"- Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse."

La science se doit de faire l’économie d’hypothèses hors de la nature. C’est le principe de parcimonie que l’on peut utiliser.

Comment répondre à des élèves qui vous parlent d’Adam et Eve et refusent l’évolution ? Pour plus de réflexions, on pourra se référer à l’atelier n°3 ainsi qu’au dialogue entre A. de Ricqlès et J. Arnould pour la nécessité d’un dialogue entre science et religion, qui doivent rester bien distinctes mais sans ignorer l’autre. (A voir dés que les actes seront publiés).

Il ne faut pas associer la science à l’athéisme car c’est opposer science et religion. On va alors droit au conflit et on prête le flanc aux arguments créationnistes qui cherchent une confrontation entre idéologies, entre croyances, ce que la science n’est pas.

La science doit bien être séparée de la foi, elle n’a ni à l’affirmer ni a la nier. Un scientifique qui affirme sa foi ou son athéisme ne parle pas en tant que scientifique.

Ce que la science a, c’est son objet d’étude : la nature. Il peut donc être utile de redonner à l’élève une définition de la science.
Cette définition nous dégage aussi d’une attitude scientiste en rappelant que la science n’a pas toutes les toutes réponses et ne peut pas les apporter. Elle n’est pas là pour nous donner une morale.

La science se doit d’être matérialiste, n’en déplaise à Harun Yahya, c’est à dire ne s’en rapporter qu’aux faits matériels, ce qui ne veut pas dire qu’elle nie qu’il puisse y avoir "quelque chose" au-delà de la matière : c’est un matérialisme humble qui dit juste que au-delà n’est pas de son domaine et que ce n’est pas à elle de dire ce qu’il y a ou n’y a pas au-delà.

Lorsque la science veut répondre à la question "pourquoi ?", c’est une cause matérielle qu’elle recherche et non une finalité.

Il faut ainsi nous rappeler la méthode de la science, avec les théories à l’épreuve des faits, et nous garder de tout dogmatisme. Il n’y a pas de certitude dans les théories, mais seulement dans les faits.

La science ne doit pas se construire en faveur ou en défaveur d’une idéologie, elle se construit en regard des faits. Ainsi il faut montrer que la théorie de l’évolution et l’histoire de la lignée humaine se sont construites pour rendre compte de faits observés (et Darwin a construit l’Origine des espèces en une grande collections de faits) et non pour contredire la Bible ou le Coran. La science suit son chemin en travaillant sur la nature et si ses découvertes vont à l’encontre des Ecritures ce n’est pas volontaire.

La science se remet en cause à la lumière des faits.

"...l’expérimentateur, au contraire, fait acte d’humilité en niant l’autorité personnelle, car il doute aussi de ses propres connaissances, et il soumet l’autorité des hommes à celle de l’expérience et des lois de la nature."
Claude Bernard - Introduction à l’étude de la médecine expérimentale.

Nous pouvons donc présenter les faits, à charge pour l’élève d’interroger ses conceptions pour en tenir compte et s’ouvrir pour concilier ces faits avec sa foi.

(Mais notre rôle n’est pas de démolir la foi de l’élève à coups de faits : dans l’école laïque chaque individu a droit à sa liberté de croyance : nous ne sommes pas là pour convertir).

Selon Armand de Ricqlès, on a trois types de réponse face à cela, qui rejoignent au fond l’argumentation créationniste :
  Les faits présentés sont faux,
  Les faits présentés sont vrais mais l’interprétation des scientifiques est fausse,
  Les faits présentés sont vrais mais l’interprétation surnaturelle est meilleure

L’histoire des sciences sera un ici un renfort précieux, pour montrer que jamais il n’y a eu de dichotomie simple entre d’un côté les évolutionnistes et de l’autre côté les croyants. Elle enseignera aussi comment la science travaille et se construit.

(On pourra aussi se rappeler que les créationnistes sont loin d’être majoritaires chez les croyants et qu’ils ne sont pas d’accord entre eux).

Nous aurons donc ici trois éléments pour répondre sans entrer dans une confrontation :
 les faits,
 la définition et la méthode de la science,
 l’histoire des sciences.

Au terme de l’atelier, des collègues de collège ont été déçus de ne pas avoir eu de réponse simple à donner aux élèves. Je crains fort de ne pas être capable de produire ces réponses simples à opposer à un élève qui vous parle d’Adam et Eve. Je ne sais pas s’il y a des réponses simples mais cela mérite réflexion. Les exemples que j’ai pris sont tournés essentiellement vers le lycée. Or ces questions vont se poser de façon accrue au collège avec le nouveau programme de 3ème.

Il serait donc intéressant de produire ces réponses. Si vous avez des remarques, des idées, des suggestions, le forum est là pour ça (sous la bibliographie).

Vous pouvez aussi me contacter : B Boucher


Bibliographie

Charles Darwin : l’origine des espèces (GF Flammarion)

Paul Mazliak :
 la naissance de la biologie dans les civilisations de l’Antiquité (Vuibert adapt)
 la biologie au siècle des lumières (Vuibert adapt)

Pascal Picq : Lucy et l’obscurantisme (Odile Jacob)

Stephen Jay Gould :
 le sourire du Flamant rose (Seuil)
 l’éventail du vivant (Seuil)

Ernst Mayr : Histoire de la biologie (le Livre de Poche)

Guillaume Lecointre/Hervé Leguyader : classification phylogénétique du vivant (Belin)

Jacques Monod : le hasard et la nécessité (Seuil)

Dossiers Pour la science :
 Les origines de l’humanité (janvier 1999)
 Sur la trace de nos ancêtres (décembre 2007)

La Recherche : n° 396 avril 2006

DVD

L’Odyssée de l’espèce de Jacques Malaterre (France 3 éditions)

Sur le net :

http://www.pseudo-sciences.org/

De nombreuses réponses aux arguments des créationnistes ou des adeptes du dessein intelligent (en anglais) sur le site : http://www.talkorigins.org/

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